1064, Barbastro, une bataille oubliée qui annonce les croisades

Duo d’historiens

Médiéviste accompli, Philippe Sénac a beaucoup travaillé sur l’Espagne médiévale, publiant en 2000 un remarquable L’occident médiéval face à l’Islam (Flammarion, 2000), Le monde carolingien et l’Islam (L’harmattan, 2006) et Charlemagne et Mahomet. En Espagne (VIIe-IXe siècles) paru chez Gallimard en 2015. Il se propose ici de revenir sur la bataille de Barbastro en compagnie de Carlos Laliena Corbera, lui aussi spécialiste de l’Espagne médiévale.

 

Retour sur un évènement un peu oublié

Un peu comme Georges Duby pour la bataille de Bouvines, nos deux médiévistes utilisent toutes les ressources de l’histoire évènementielle pour comprendre Barbastro. Les sources sont en effet lacunaires, orientées, parfois confuses, tant du côté arabe qu’occidental. Il ressort en tout cas qu’en 1064, un an après la bataille de Graus qui voit la mort du roi Ramire Ier d’Aragon, une expédition de chevaliers venus du nord de l’Espagne et surtout de France assiège la ville musulmane de Barbastro. La ville est prise et livrée au pillage. La violence des chevaliers annonce celle des croisés prenant Jérusalem en 1099.

 

Croisade ? Pré-croisade ? Expédition féodale ?

Que signifie la bataille de Barbastro ? Le XIe siècle voit le rapport de force en Espagne s’inverser entre chrétiens et musulmans. Le califat omeyyade s’est effondré laissant Al Andalus se fragmenter en petits états, les Taifas, pris bientôt dans un jeu complexe avec les états chrétiens. Ceux-ci se font verser des tribus, interviennent parfois militairement pour soutenir tel ou tel émir. Parallèlement, une image très négative de l’Autre se généralise dans les Etats chrétiens. Le maure, le païen, le sarrasin est vilipendé par les prêtres et les moines. Le pape Alexandre II soutient (il y a des lettres) l’expédition, comme il soutient les efforts de Robert Guiscard à la même époque pour s’emparer de la Sicile aux mains des musulmans. Barbastro est plus qu’une simple expédition de féodaux désireux de montrer leurs qualités militaires et possède des traits qui l’apparentent aux futures croisades mais, comme le remarquent nos deux historiens, il manque un élément essentiel : Jérusalem, dont l’importance religieuse stimulera le développement de l’esprit croisé.

 

Voilà un excellent ouvrage sur un évènement oublié d’une période méconnue, susceptible d’être l’objet de récupérations idéologiques douteuses dans notre contexte actuel.

 

 

Sylvain Bonnet

Philippe Sénac & Carlos Laliena Corbera, 1064 Barbastro : guerre sainte et Djihâd en Espagne, Gallimard « NRF Essais », avril 2018, pages, 19 euros

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