14-18 penser le patriotisme, comprendre la guerre de masse

La Grande guerre, encore et toujours

Durant les quatre dernières années, on a vu sortir des dizaines d’ouvrages consacré au premier conflit mondial pour cause de commémoration. Ici, le sujet du livre est original : comment les populations ont-elles adhéré à la mobilisation, aux combats durant quatre années meurtrières ? Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul Valery de Montpellier, Frédéric Rousseau a déjà publié La Guerre censurée : une histoire de combattants européens (Seuil, 1999) et Le Procès des témoins de la Grande Guerre : l’affaire Norton Cru (Seuil, 2003).

 

Une source inégalée : les correspondances et les journaux intimes

Pour appuyer son propos, notons que Frédéric Rousseau s’appuie sur les correspondances des soldats et de leurs familles, incluant par exemple des historiens comme Jules Isaac ou des politiques comme Abel Ferry, mobilisés dès 1914. On y découvre ainsi l’ampleur des liens qui se maintiennent à distance entre les mobilisés et leurs femmes, leurs familles. Majoritairement paysans, les soldats s’inquiètent ainsi des récoltes, de l’état de leurs fermes. Pour autant ils font leur devoir : pourquoi ?

 

La question du consentement

Frédéric Rousseau remet partiellement en cause l’interprétation dite « culturaliste », selon laquelle la société française, à l’instar de l’allemande, a connu un consentement patriotique majoritaire, au moins jusqu’en 1917. Pour lui, derrière l’unanimisme de façade d’août 1914, d’autres réalités demeurent :

 

Cette union qui se réalise assigne néanmoins, à chacun et à chacune, sa place et son rôle, devant tous les autres. »

 

En effet les classes sociales ne disparaissent pas, loin de là et ont influencé la mise en guerre de chacun. Ainsi, Rousseau met en évidence la pression mise par l’arrière sur les soldats, chacun devant accomplir son devoir et surtout ne pas être un embusqué. Pour autant, il s’agit là selon Rousseau d’une contrainte, voulue par l’élite, et non d’une volonté enthousiaste des masses. Pour l’historien, les choses sont bien plus complexes, troubles et il distingue dans sa conclusion au moins quatre groupes de français, sur un modèle anglosaxon : les consentants à la guerre, les « a-senteurs » d’origine populaire qui se laissent guider sans enthousiasme, les « dissenteurs » déjà plus hostiles et enfin les dissidents. Soit, belle terminologie.

 

Violence de guerre

A côté de ces points de vue très marqués par une vision « classiste » de l’engagement de la société française dans le conflit, Frédéric Rousseau analyse aussi la violence de guerre, dont on dispose de nombreux témoignages littéraires (citons Maurice Genevoix et Ernst Jünger). Allemands et français ont achevé des prisonniers, massacré des soldats. Pour autant, les soldats ne sont pas des robots et gardent aussi leur capacité de choix. Ainsi le soldat Richert, alsacien soldat dans l’armée allemande, empêche à plusieurs reprises qu’on achève des blessés français. Laissons le mot de la fin à Frédéric Rousseau :

 

[…] notre cheminement entre altruicide et altruisme sur le champ de bataille nous permet, je crois, de réaffirmer ce fait : l’homme n’est pas forcément un loup pour l’homme. »

 

Sylvain Bonnet

Frédéric Rousseau, 14-18 Penser le patriotisme, Gallimard,  « folio histoire », octobre 2018, 480 pages, 8,30 euros

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