« Antisocial », un réquisitoire militant et partial de Thomas Guénolé

Un auteur militant

La crise dite des « gilets jaunes » est une occasion de revenir sur un livre de Thomas Guénolé, Disciple d’Emmanuel Todd, politologue et enseignant à l’université Paris Est Créteil, également membre de la France insoumise. Dans Antisocial la guerre sociale est déclarée, publié dans la collection « Tribune libre » de Plon, Guénolé se livre à un réquisitoire des politiques menées en France (et ailleurs) depuis une trentaine d’années.

 

Un constat partagé

Guénolé a choisi de consacrer chaque chapitre de son ouvrage à un thème précis : chômage, santé, éducation, etc. On doit reconnaître ici ne pas être un libéral bon teint et préférer la lecture d’Alternatives économiques à BFM TV. On souscrira donc à certaines analyses du politologue sur le traitement du chômage : le chômage volontaire n’existe qu’à la marge, culpabiliser les chômeurs est contre-productif, inutile et volontiers source de problèmes psychosomatiques pouvant mener au suicide. Le code du travail français, ardu, n’est pas un point de blocage pour embaucher :

 

L’on peut aussi citer l’INSEE qui, dans une récente note de conjoncture, conclut que le code du travail ne représente en rien le principal frein à l’embauche du point de vue des chefs d’entreprise eux-mêmes : ce motif n’arrive en effet que troisième alors que c’est le carnet de commande insuffisamment plein qui, sans surprise, se classe en tête. »

 

S’il n’est pas plein, c’est parce qu’il y a un problème de demande, ce qui nous ramène dans un schéma keynésien. Keynes, ce bon petit diable que nos politiques actuels ne connaissent pas, ou ressortent uniquement en cas de grave crise, comme en 2008…  Guénolé, dans un chapitre sur la santé, prend la défense de notre modèle et démontre parfaitement pourquoi certaines multinationales ont intérêt à son démantèlement :

 

[…] notre système de santé brasse tous les jours une masse d’argent colossale, via la collecte des prélèvements qui financent l’assurance maladie et via les prestations des établissements de santé, qui sont facturées. Or, puisque ces flux fonctionnent très largement en dehors du secteur privé, cet argent est aujourd’hui en dehors du contrôle des grandes firmes pharmaceutiques et des grandes compagnies d’assurances en particulier. »

 

L’enjeu est simple : mettre la main, via la privatisation, sur le magot que cela représente. Et adopter un système à l’américaine, caractérisé par des dépenses de santé supérieures à la France (17% du PIB contre 11% chez nous). Or le démantèlement est en marche, lent mais progressif, fragilisant le système hospitalier. C’est aussi une source du malaise des Gilets jaunes qui, de surcroit, ne trouvent plus de médecins généralistes dans leurs zones d’habitation…

 

Raccourcis et travers idéologiques

Lire Guénolé est un antidote à la vulgate néolibérale en cours, souvent dans Le Point ou sur BFM TV… Pour autant, notre politologue est partisan. Engagé. Et son discours peut être biaisé. Il parle de la suppression de l’ISF par exemple, une bêtise en terme de symbole, et parle de la perte nette de 4 milliards de recettes. Or l’ISF est remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière qui rapporterait entre 1 et 1,5 milliards (on attend les chiffres), ce qui ramène la perte aux alentours de 2,5-3 milliards. Plus grave sont les attaques contre l’enseignement privé. Lisons ce qu’il en dit :

 

[…] s’ajoute un « effet passoire » dû à l’existence de l’enseignement privé : plus cher, donc majoritairement réservé aux classes moyennes supérieures, ces dernières l’utilisent pour éviter de se voir appliquer la carte scolaire. Il y a donc de leur part une stratégie répétée, par tous les moyens possibles, de séparatisme éducatif… »

 

Cela vient dans un chapitre  où l’auteur décrit les attaques de « l’antisocial » (concept un peu nébuleux) contre l’éducation nationale. En fait, notre politologue néglige d’une part la baisse du niveau scolaire (il attaque, avec raison, le classement PISA) et d’autre part la peur des familles des classes moyennes de voir leurs enfants évoluer dans des établissements des plus défavorisés et aussi en proie aux menaces de certains gangs. En France, l’enseignement privé est largement confessionnel, surtout catholique et juif.

Cependant, si les familles placent leurs enfants dans le privé, ce n’est plus à cause de leur foi, plutôt parce que dans certains endroits l’enseignement public n’est plus au niveau (les méthodes ont longtemps été en cause, ainsi la méthode globale pour l’apprentissage de la lecture…), voire parce que certains enfants sont physiquement menacés : ainsi des adolescents juifs en Seine-Saint-Denis. Et il faut aussi compter avec certaines familles issues de l’immigration maghrébine qui préféreront mettre leurs enfants dans des établissements catholiques privés sous contrat, pour leur donner toutes les chances. Cela, Guénolé, prisonnier de sa grille de lecture idéologique (voire « laïcarde ») ne le voit pas. Ou ne veut pas le voir.

 

Une pression fiscale inégalement répartie

C’est dommage. Car notre auteur sait être pertinent, par exemple sur la pression fiscale : il a beau jeu de démontrer qu’elle repose fortement sur les classes populaires et moyennes, beaucoup moins sur les classes supérieures. Son dernier chapitre s’intitule « faut-il un nouveau mai 68 » où l’auteur prétend souhaiter ardemment un évènement de cette ampleur. Il est là, ce sont les gilets jaunes, mouvement protéiforme parti d’un ras le bol fiscal et dont on ne sait trop ce qui va en sortir. Une chose est sûre : Guénolé avait vu juste sur certains points, moins sur d’autres.

A lire, pour se forger une opinion. Et parce que rien ne vaut la réflexion née de la lecture (et non de la vision de BFM TV et autres chaînes d’info en continu…). A bon entendeur salut !

 

 

Sylvain Bonnet

Thomas Guénolé, Antisocial la guerre sociale est déclarée, Plon « Tribune libre », mars 2018, 288 pages, 17,90 €

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