Avengers Infinity War, autoportrait de l’Amérique

Un certain malaise… C’est ce que l’on peut ressentir tout au long de la projection d’Avengers Infinity War. 

Même si, passé un certain âge, on peut prendre du recul et s’amuser de l’esthétique kitsch (des boyscouts en costumes bariolés luttent et gesticulent contre un monstre grandiloquent ; les Power Rangers ne sont décidément pas loin !), il est indéniable que le film est à prendre au sérieux pour ce qu’il nous dit de l’Amérique en 2018.

En effet, techniquement, thématiquement, Avengers Infinity War est avant tout une incroyable démonstration de force. Le film le proclame à chaque image et nous l’enfonce dans la gorge une bonne fois pour toutes : personne ne peut rivaliser avec un budget de 500 millions de dollars (300 pour le film, 200 pour la promotion), personne ne peut pratiquer une telle invasion des écrans mondiaux. Avec Avengers, le terme « blockbuster » (littéralement casseur de blocs, de quartiers) prend tout son sens : celui, cinématographique, que l’on connait depuis les années soixante-dix, mais aussi et surtout celui, militaire, de 1944. 

A vrai dire, ce qui met mal à l’aise avec Avengers Infinity War, c’est de voir à quel point les Etats-Unis ne sont jamais sortis de la seconde guerre mondiale. Certes, cela peut se comprendre : comment sortir du plus grand traumatisme de l’histoire de l’humanité, surtout quand on a été tout à la fois les Sauveurs et les Destructeurs ? Comment évacuer la mauvaise conscience d’avoir testé la Bombe sur des civils innocents quand on est « la meilleure des démocraties » ? La solution est dans le déni et dans la propagande : on ne parlera jamais assez de l’effarante mentalité d’une nation qui a créé Captain America. Nous autres, Européens, avons été éhontément impérialistes par le passé, mais pouvons-nous imaginer, aujourd’hui, un film sérieux, français ou britannique, appelé Capitaine France ou Capitaine Angleterre ?

 

Thanos © Marvel Studios 2018

 

Certes, nous ne sommes sans doute pas assez puissants pour avoir de telles idées mais, même si nous l’étions, je crois que nous n’oserions pas faire ce genre de films ! La Vieille Europe a trop peur du ridicule mais, surtout, elle a su tourner la page. L’Amérique, non. Ainsi, Avengers Infinity War ressasse obsessionnellement toute une imagerie du second conflit mondial : les villes détruites, la folie d’un tyran (Thanos) qui rêve de « perfection » et d’« espace vital », avec comme mode opératoire le génocide ; les victimes qui partent en cendres… 

Certes, je vois bien que Kevin Feige, le maître d’œuvre des Marvel Pictures depuis 2008, a une vision d’ensemble extrêmement politique, que chaque film parle volontairement, et parfois intelligemment, des problématiques de notre temps, avec une orientation nettement démocrate : par exemple, le premier Iron Man évoque le commerce cynique des armes et le deuxième Captain America dénonce l’extrême-droite américaine, très active depuis 1947. La volonté de Feige, comme celle de Stan Lee à l’origine, est sans nul doute de communiquer aux adolescents de tous pays quelques rudiments d’Histoire contemporaine et quelques belles idées progressistes, comme l’égalité raciale ou sexuelle.

Mais ces œuvres ne peuvent s’empêcher de véhiculer une certaine ambivalence, celle de l’Amérique depuis 1947 : à la fois championne de la démocratie, par les idées, et championne de l’impérialisme, par les actes.

Que cela soit voulu ou non par les studios Marvel (cette ambiguïté est d’ailleurs intéressante en soi), Thanos n’est qu’en apparence l’Autre, « l’Ennemi », « l’Etranger ». Sa mâchoire carrée ne trompe pas : Thanos est l’Amérique et le film un autoportrait.

Thanos et l’Amérique : ou comment « sauver le monde » en montrant ostensiblement qu’on peut tout détruire sur son passage…

 

Claude Monnier

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