« Brisa » de Bénédicte Martin, portraits de femmes singulières

Bénédicte Martin nous propose avec Brisa d’explorer son arbre généalogique et, à travers le portrait de femmes ô combien singulières, de revivre les grandes mutations sociologiques du siècle dernier qui contribuèrent à libérer tant la parole que le corps. En toile de fond, on y revivra aussi quelques grands épisodes d’une France qui semble désormais appartenir au passé mais dont les déflagrations perdurent encore aujourd’hui.

On revisitera quelques séquences sombres de notre roman national, qu’il s’agisse de l’Occupation ou de la Guerre d’Algérie et ses répercussions dans la capitale, mais aussi quelques moments plus festifs, comme durant Mai-68 où la musique pop et ses légendes rythmèrent la libération sexuelle qui s’en suivit.

Dans un style direct, sans concession, n’hésitant pas à fleureter avec le stupre s’il le faut, le lecteur non averti découvrira par la même occasion les grandes heures d’un Paris secret où les passions et l’enchevêtrement des chairs se vivaient de manière illicites. Pour les néophytes, ils y apprendront les noms des clubs très fermés entrés dans la légende du Paris « coquin », qu’il s’agisse des lieux dédiés aux amours féminins ou des maisons de tolérances depuis longtemps fermées depuis la loi du 24 avril 1946 initiée par Marthe Richard.

 

J’ai grandi avec des maisons où trônaient partout des photos de Madame Yvonne, même si j’ai compris un jour que, bien que je voyais un homme en costume, il s’agissait d’une femme. Elle m’a longtemps fait peur car elle imposait toujours le silence quand je voulais parler d’elle à mes grands-parents. Pendant plus de vingt ans, j’ai cru que c’était un sort, alors qu’en fait, c’était ma chance. J’ai compris que mon héritage n’était pas sonnant et trébuchant mais plutôt un legs insaisissable ».

 

Du Café de Flore aux Deux Magots, de la Brasserie Lipp au Royal Saint-Germain, Bénédicte Martin ne manque pas de rendre hommage aux grandes figures intellectuelles et artistiques qui contribuèrent à l’aura du quartier latin dans lequel « a poussé » Bénédicte Martin. Des noms désormais mythiques traversant son récit, nous naviguerons du très controversé Ezra Pound, du statufié Jean-Paul Sartre et de son double féminin Simone de Beauvoir, du lunaire Jean Cocteau, du poète star du PCF Louis Aragon et de son alter ego Elsa Triolet…

Avec ce récit, Bénédicte Martin invite aussi le lecteur à un jeu de piste qui permet de reconstituer l’héritage impalpable des personnes qui ont contribué à l’édification de son être. Effectuant des retours incessants entre passé et présent, l’auteure nous raconte le couple à trois que composaient Brisa, Pierre (ses grands-parents) et le personnage haut en couleurs que fut Eléonore surnommée « Madame Yvonne ». Eléonore, cette femme que Bénédicte Martin ne connait que par les souvenirs des autres ou les photos sauvegardées qui continuent bien des années après sa mort à distiller l’odeur de soufre qui émanait d’elle.

Au-delà du pittoresque et des plaisirs de la chair, Bénédicte Martin s’interroge autant qu’elle nous interroge sur le déterminisme, le principe de causalité et notre émancipation quant au conditionnement que nous subissons dès notre plus jeune âge… Comme le rappelle Bénédicte Martin « Notre liberté commence par le choix de nos prisons », idem quant à nos maîtres ou mentors.

 

Romain Grieco

 

Bénédicte Martin, Brisa, JC Lattès, janvier 2018, 200 pages, 18 euros

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