Christophe Honoré, « Ton père »

Le Père, la Fille et les malsains Esprits

Le roman de Christophe Honoré intitulé Ton père est encore un de ces « romans » modernes pour lesquels on suppute que toute différence avec des personnages ou des événements ayant réellement existé ne saurait être que fortuite. Mais il est vrai que la réalité qu’il décrit est difficilement tolérable et qu’on préférerait qu’elle soit pure et simple fiction.

Le titre, Ton père, peut sans doute s’interpréter de diverses manières, mais lorsqu’on sait que le père en question n’est autre que l’auteur, on comprend que l’ouvrage pourrait tout aussi bien s’intituler « Lettre à ma fille ». Pourquoi « Ton père », alors ? Parce que l’auteur, Christophe Honoré, s’adresse ainsi un clin d’œil à lui-même (rappelons qu’il avait adapté au cinéma en 2004 le roman de Georges Bataille, Ma mère).  Mais aussi parce qu’il entend expliquer à sa fille que son père n’est pas forcément l’homme que les autres voudraient la persuader qu’il est.

Car, si tout cela sent le soufre, ce soufre est en grande partie dans le nez de ceux qui le hument. Christophe Honoré a une fille, et il est homosexuel, c’est un fait. Mais beaucoup de gens vertueux ne peuvent s’empêcher de penser : Christophe Honoré a une fille, mais il est homosexuel. Ou, plus précisément peut-être : Christophe Honoré est homosexuel, mais en plus il a une fille !

Oui, comme avait déjà dit Montesquieu, comment peut-on être père sans… ?

Bien entendu, son homosexualité vaut à Christophe Honoré la réprobation des bien-pensants et quelques injures ou hostilités du meilleur goût. Par exemple, devant la porte de son appartement, un dépôt d’étron qui semble tout droit sorti d’une séquence du Locataire de Polanski. Mais ce n’est probablement pas pour cela, pas pour cela seulement qu’il a résolu d’écrire ce livre.

Ce qu’il ne peut pas supporter, et on le comprend, c’est cette abjection bien-pensante qui, au nom de la morale, entend faire payer à la fille la faute du père, sans même parfois en avoir conscience. Voyez cette charmante dame qui, à la sortie de l’école, invite la fille d’Honoré à rendre visite à la sienne ‒ les deux jeunes filles sont dans la même classe ‒ en faisant comme si Honoré, pourtant présent sur le même trottoir (n’est-il pas lui aussi un parent d’élève ?), n’était pas là. N’existait pas. Pas un mot, pas un regard dans sa direction. Comme si, donc, sa fille était orpheline. Mais il y a plus grave encore ‒ ces courriers anonymes, enrichis de photographies, adressés à la jeune fille et destinés à lui révéler qui est son père.

On aura compris que la défense d’Honoré consiste ici, non pas à attaquer, mais à devancer. Puisque d’autres tiennent tant à ouvrir les yeux de sa fille pour lui faire découvrir qui est son père, il va lui-même s’en charger. Il va lui offrir un portrait complet de lui-même, avec des détails sur sa propre vie qu’il est le seul à pouvoir donner. Après cela, qu’ils viennent, qu’elles viennent, ces pères et ces mères-la pudeur, révéler à sa fille des détails croustillants ! Le dossier qu’elle possède sur son père est bien plus épais que le leur.

Mais cette stratégie de défense, la seule possible sans doute, puisqu’elle s’est imposée par élimination, contribue malheureusement à compliquer encore plus certains aspects de la situation. À bien des égards, ce livre se présente comme une autobiographie, puisque, par définition, Christophe Honoré s’y raconte, et l’on aurait bien mauvaise grâce à ne pas reconnaître l’émotion qu’on éprouve à la lecture de certaines pages, par exemple celle, quasi-camusienne, où il explique qu’il s’est réconcilié avec son père depuis que celui-ci est mort, parce qu’il a enfin l’impression que ce père ne le surveille plus, mais le protège.

Mais ‒ et là l’homosexualité devient une question parfaitement secondaire ‒ le systématisme de la démarche ne laisse pas d’être problématique. Un parent doit-il tout raconter à ses enfants, tout dire de ce qu’il a été et de ce qu’il est ? Cacher n’est évidemment pas une solution, puisque les secrets de famille, si enfouis soient-ils, sont toujours confusément présents, du fait précisément de ce silence qui entend les dissimuler, mais faut-il pour autant tout exposer par le menu ? Honoré franchit peut-être ici ce que d’aucuns appelleraient « la ligne rouge » et, qui pis est, en faisant de son homosexualité l’alpha et l’oméga de cette autobiographie, il conforte d’une certaine manière sa mise à l’index par les vertueux abrutis. Peut-être l’écrivain-cinéaste qu’il est devrait-il se contenter de mener son combat à travers, si l’on peut dire, de véritables fictions. 

Pourra-t-on jamais sortir de cet embrouillamini, de cette bande de Moebius qui fait qu’on revient au point de départ alors qu’on croyait l’avoir définitivement abandonné ? Que faire face à une marginalité qui entend à juste titre être traitée comme tout le monde et ne pas rester dans la marge, mais qui entend aussi affirmer sa marginalité ? Bien sûr, on comprend ce désir d’Honoré d’appeler des alliés à la rescousse, mais les photos qui ponctuent l’ouvrage, représentant uniquement des homosexuels, ou ces deux pages consacrées à énumérer les noms d’une bonne centaine d’artistes homosexuels ne laissent pas de provoquer un certain malaise. Ne serait-ce que parce qu’elles sont un peu hâtives… Rimbaud homosexuel ? Oui, peut-être. Mais est-ce vraiment important ? Ce « fichier » est-il vraiment nécessaire ?

Il n’a pas tout à fait tort, ce lecteur qui, sur amazon.fr, dit sa déception en expliquant qu’au bout d’un moment, ce livre s’essouffle.

 

FAL

Christophe Honoré, Ton père, Mercure de France, septembre 2017, 192 pages, 19 euros

Laisser un commentaire