Conan le Cimmérien : au-delà de la rivière noire

Un jeune homme perdu dans une forêt sombre manque de se faire massacrer, mais une force de la nature intervient, le sauve et le conduit au fort, point avancé de la civilisation aquilonnienne en territoire picte, très hostile. D’autant plus que le grand sage picte a été enfermé et a juré de se venger. Ainsi s’ouvre Au-delà de la rivière noire, une aventure de Conan le Cimérien, très bellement adapté de Robert E. Howard par Mathieu Gabella et Anthony Jean.

Le Cimmérien contre les Pictes

Eclaireur pour le fort Tuscelan, Conan s’enfonce loin dans la forêt picte et surveille la menace grandissante. Le Fort est abandonné à lui-même par l’armée, qui n’enverra pas de renfort, et sait que son destin est de survivre seul ou de périr. Rares sont les volontaires qui viennent grossir ses rangs, et voici Balthus, qui hésite entre cultiver sa terre ou s’enrôler. Après son sauvetage, Conan lui résume rapidement la situation : les Pictes ont traversé la rivières, de tributs isolées ils forment maintenant une seule entité obéissant aux ordres de Zogar Sag, sorcier aux pouvoirs démoniaques. Ce même sorcier qui a été fait prisonnier et a pu tuer quatre aquilonniens sans arme et sans sortir de sa cage.

Et les Pictes sont bien décidés à chasser cet envahisseur aquilonien et à reprendre le plein pouvoir de ses terres ancestrales. Il semblerait que le sorcier soit réellement doté de pouvoir et, comme toute aventure de Conan, des monstres vont jaillir, soit des animaux gigantesques soit un démon… Des combats, des embuscades, des morts : la barbarie est au rendez-vous !

le puissant sorcier Zogar Sag © Anthony Jean

Fort Alamo

Conçu par Howard à l’origine pour être comme une transposition de Fort Alamo en terre barbaresque (les Pictes étant les mexicains), Au-delà de la rivière noire, est une aventure courte, concentrée dans le temps et l’espace, et orientée pure action ! Bien sûr, c’est la situation du fort avancé en terres ennemis qui rappelle l’épisode fameux de la guerre entre les braves de l’armée texane et l’armée mexicaine de Santa Anna. Il n’y a pas de sacrifice pour quelle guerre soit gagnée maison pur abandon, non plus qu’un beau geste du vainqueur qui permet aux femmes de s’extraire du fort avant l’assaut final : chez Howard, la barbarie est une vague puissante qui décime tout et n’épargne nul faible. S’il a pu agir ainsi dans sa vie passée, Conan est ici pour la première fois confronté, comme spectateur, au massacre en règle. Si bien qu’il sort de cette aventure satisfait au moins d’avoir toujours choisi le camp de sa propre liberté.

Les dessins d’Anthony Jean font entrer dans cette dimension sauvage avec beaucoup de force, ils ont une profondeur et une puissance palpable. Et l’adaptation de Mathieu Gabella est réussie car si elle ne respecte pas tout à fait la lettre elle rend l’essence de la pensée d’Howard, cette barbarie qui surclasse en toute chose la civilisation policée et, donc, faible. D’autant qu’Howard conclut son récit avec une de ses grandes vérités, citation la plus connue de son œuvre : « La barbarie est l’état naturel de l’espèce humaine […] La civilisation n’est pas naturelle. Elle résulte d’une fantaisie de la Vie. Et la barbarie finit toujours par triompher. » (1)

Loïc Di Stefano

Mathieu Gabella (adaptation et scénario) et Anthony Jean (dessin et couleur), Conan le Cimmerien. Au-delà de la rivière noire, d’après l’œuvre de Robert E. Howard, Glénat, septembre 2018, 60 pages, 14,95 euros

Inclus : un cahier bonus de 16 pages réservé à la première édition, comprenant un portfolio, des hommages d’autres dessinateurs (dont une très belle inspiration par Laurence Baldetti et une pâle copie du Death Dealer par Yann Tisseron), mais surtout une analyse de l’œuvre originale par Patrice Louinet, grand connaisseur de Conan et directeur de cette collection.

(1) Traduction de François Truchaud.

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Le PS du tatillon

Comme il s’agit d’une adaptation, on sera attentif à l’esprit plus qu’à la lettre. Pourtant, dans le texte d’Howard, Conan apparaît avec un casque aux cornes de taureau (pour faire bestial) et muni d’une seule épée large, et dans la BD le casque disparaît et une hache apparaît. Notons que l’adaptation par John Buscema (Savage Sword of Conan # 26 & 27, repris dans Les Chroniques de Conan, Tome 1 : 1978, Panini Comics, 2009) a « fait l’effort » de respecter cette apparence. De même pour les Pictes, s’ils sont vraiment très beaux et stylisés dans notre album, la version Buscema semble plus proche de l’esprit d’Howard, qui les assimilait à des quasi-primitifs, représentant la sauvagerie brute et indomptable. 

Autre souci, de vocabulaire. Conan dit aux soldats « évitez de chier dans vos braies », saillie qu’on ne trouve pas chez Howard, qui savait sans doute que ce vêtement était le pantalon traditionnel des gaulois, civilisation très postérieure à l’âge hyperboréen. Autre erreur, avançant avec peine sur la rivière, la nuit, en pleine foret, le narrateur a cette réflexion : « Balthus savait que même les yeux perçant de l’homme agenouillé à la proue… étaient incapables de discerner quoi que ce soit à plus de quelques lieues devant eux. » Sachant qu’une lieue équivaut approximativement à 4 km, reconnaissons qu’il doit être difficile, dans de telles conditions, de voir au-delà de 12 ou 16 km…

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