Correspondance Albert Camus – Maria Casarès

La correspondance amoureuse entre Albert Camus et Maria Casarès

Voici donc une correspondance monumentale qui vient de sortir chez Gallimard, l’éditeur historique d’Albert Camus, à l’initiative heureuse de sa fille Catherine Camus. Huit cent soixante-cinq lettres pour nous montrer ce que l’amour passionnel veut dire.

 

 

« J’ai retrouvé la phrase de Stendhal qui s’applique à toi : « Mais mon âme à moi est un feu qui souffre s’il ne flambe pas ! » Flambe donc ! Moi, je brûlerai. »

(Albert Camus à Maria Casarès, jeudi 26 août 1948)

 

Ces lettres enflammées racontent l’idylle amoureuse entre l’écrivain et la comédienne, ces deux grandes figures de la vie intellectuelle et littéraire du Paris du siècle dernier, depuis le jour où ils se sont croisés chez Michel et Zette Leiris en mars 1944, et le 6 juin 1944, le long jour du Débarquement, durant lequel ils se sont aimés, jusqu’au 30 décembre 1959, date de la dernière lettre, seulement cinq jours avant la disparition d’Albert Camus, mort tragiquement le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture.

 

« Bon. Dernière lettre. Juste pour te dire que j’arrive mardi, par la route, remontant avec les Gallimard lundi (ils passent par ici vendredi). Je te téléphonerai à mon arrivée, mais on pourrait peut-être convenir déjà de dîner ensemble mardi. Disons en principe, pour faire la part des hasards de la route – et je te confirmerai le dîner au téléphone. Je t’envoie déjà une cargaison de tendres vœux, et que la vie rejaillisse en toi pendant toute l’année, te donnant le cher visage que j’aime depuis tant d’années (mais je l’aime soucieux aussi, et de toutes les manières). Je plie ton imperméable dans l’enveloppe et j’y joins tous les soleils du cœur. »

(Albert Camus à Maria Casarès 30 décembre 1959)

 

 

Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud, Maria Casares, Albert Camus, Balthus

 

 

Cette somme monumentale de lettres, correspondance amoureuse, sincère, passionnée, tendre, témoignage d’une époque révolue, sur le théâtre ou la littérature d’un temps ancien, témoignage d’un siècle où l’écriture et la langue se faisaient les représentants des sentiments humains, où les mots révélaient encore quelque chose de l’homme, dans des jaillissements lumineux, ceux d’un écrivain engagé qui recevra le prix Nobel de littérature, cette plume dans laquelle tout brûle, le feu sacré de l’amour, la passion irrationnelle de deux êtres qui se croisent, se voient, se quittent, se retrouvent, « j’ai le feu au corps et l’âme étirée » écrira-t-elle, sur fond d’adultère pour l’homme, l’ombre de Francine l’épouse planera toujours sur ces deux amants, brûlant de tout bois, lui l’appelle « Mon amour chéri », elle « Mon cher amour », leurs doutes, leurs convictions, leurs lassitudes,

lui :

« Si seulement je pouvais changer de conviction, j’écrirai mes livres sans les publier ou en les publiant dans des éditions limitées. Mais j’ai toujours cru qu’un artiste n’écrivait pas pour lui-même, qu’il ne pouvait ses séparer de la société de son temps. Drôle de mariage entre un écorché impassible et une putain vindicative ! je sais bien qu’on écrit pour d’autres êtres, un public plus généreux et plus naïf. Mais entre ce public et soi il y a l’écran de cette pègre journalistique, de cette petite société provinciale et râleuse, sèche, vulgaire, complexée qu’on appelle ici l’intelligentsia, sans doute parce qu’elle n’a avec la vraie intelligence et la culture que des rapports de nostalgie… »,

elle :

« Je suis lasse d’une vie qui n’aboutit qu’à la nuit qui tombe […] cela dure le temps d’une lettre, puis tout s’efface et il ne s’agit que de recommencer. Peut-être faudrait-il éviter d’écrire ces désirs ou ces états passagers ».

 

Ces deux êtres fragiles, doux et durs à la fois, allant vers le monde, avec la naïveté des enfants qui veulent s’adresser aux gens, leur parler, qui ont quelque chose à dire qu’ils ont sur le cœur, sans savoir vraiment comment l’exprimer ; ces deux êtres-là se sont rencontrés un jour, se sont aimés, et se sont quittés tragiquement, dans un accident digne de l’absurde de Camus ; cette correspondance laisse un goût doux-amer, un sentiment de liberté ; elle nous rappelle les lumières de la passion, et que la vie est bien fragile ; qu’il n’y a rien de bien neuf dans les livres ; que dix mille livres de philosophie ne pourront rien face à un instant d’amour entre deux êtres qui demandent à aimer…

 

C’est la beauté de cette correspondance qui en est d’ailleurs le témoignage ultime…

 

Marc Alpozzo

 

Albert Camus et Maria Casarès, Correspondance. 1944-1959. Gallimard, 1 270 pages, 32,50 euros

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