Dessins assassins, la corrosion antisémite en Europe

150 documents gorgés de haines ont fait le cœur de l’exposition « Dessins Assassins » au Mémorial de Caen jusqu’au 25 février 2018. 150 documents pris à la collection d’Arthur Langerman, qui en compte 8 000… et qu’il continue d’augmenter. Autant de documents par montrer la constance dans la haine du Juif.

 

Une histoire de la haine du juif

La Shoa ne naît pas ex nihilo. Sans remonter au crime suprême (les juifs sont déicides parce qu’ils ont participé à la mise à mort de Jésus Christ), elle est le fruit d’un héritage qui apparaît à partir de la moitié du XIXe siècle un peu partout en Europe.

Entre le radicalisme à la français (théorisé par Edouard Drumont et son pamphlet La France Juive, qui postulait dans son introduction « Le seul auquel la Révolution ait profité est le Juif. Tout vient du Juif, tout revient au Juif. »), les pogroms russes (littéralement « tout détruire », donc des génocides), les lois restrictives… Tout concours en Europe à l’avènement d’un régime qui va oser institutionnaliser les « désirs » assassins communément partagés. Le nazisme et la solution finale s’inscrivent dans une histoire, ce que Dessins assassins rappelle avec beaucoup d’intelligence et de clarté.

 

[…] nul autre que les juifs ne subit et ne subira à cette échelle une haine graphique aussi brutale, élaborée, généralisée et brutale »

 

Même si le mot d’antisémite naît en Allemagne (1879), c’est dans la France de la Belle Epoque que l’antisémitisme s’institutionnalise et devient un argument politique direct. Qui oserait croire aujourd’hui qu’une revue s’appelait L’Antijuif ? C’est pourtant un hebdomadaire créé par Jules Guérin (par ailleurs président de la Ligue antisémite…) paru entre 1896 et 1902 qui martela sa haine et peut être considéré comme le précurseur du Völkischer Beobachter (L’Observateur populaire), l’organe de propagande du NSDAP (parti national socialiste des travailleurs allemands, autrement dit le parti nazi) de 1920 à 1945…

 

Dessin de Lepneveu pour la revue « Le Musée des Horreurs » fondée en 1899. Première occurrence de la pieuvre comme symbole antisémite. « Par les tentacules, l’antisémite dénonce la puissance et la nocivité supposée des réseaux sur lesquels se fonde le pouvoir fantasmé des Juifs. »

 

L’image pour séduire le peuple

 « En s’adressant aux masses, elle cherche à frapper les esprits en s’imposant dans l’espace public. »

Mieux qu’un livre ou une vraie réflexion, l’image touche directement. Et l’image matraquée va toucher le peuple en masse. Ainsi l’affichage public, aussi bien que la diffusion d’illustrés ou de cartes postales, participe largement à la stéréotypisation « du » juif comme être laid, vénal, traitre à la patrie et, pour le dire d’un mot, responsable de tout. Il concentre les envies et les haines, focalise les regards pour éviter qu’on ne cherche un éventuel vrai coupable aux troubles de l’époque. La crise économique ? le Juif. La disparition d’un enfant ? le Juif. La défaite à la guerre ? Le Juif.

L’image est parfois rehaussée de fausses citations attribuées au Talmud, comme dans la série de cartes postales du Tchèque Karel Rélink (1880-1945), qui assied sa haine sur une prétendue vérité qu’il conviendrait de révéler. C’est un peu la même méthode qui avait été utilisée par les dignitaires russes en demandant à leur service secret d’inventer le Protocole des sages de Sion.

 

 

Une haine par pays pendant la Deuxième Guerre mondiale

Chaque pays d’Europe, avant et après la Seconde Guerre mondiale, a sa propre industrie graphique de la haine.

Entre les pays occupés (comme la Belgique ou la Serbie), les pays de tradition antisémite (Tchékoslovaquie) et les pays ennemis où la propagande fait quand même rage (Russie), la propagande nazie antisémite recours à tous les subterfuges de la communication pour

Le cas de la France est un peu particulier. Sans contrainte, l’Etat français de Pétain a établi une communication favorable à l’Occupant. Mais on doit à des initiatives privées une campagne de haine contre les juifs, allant jusqu’à créer le personnage de Youpino, jeune juif sensé incarner toutes tes tares de sa race, dans des illustrée destinés à la jeunesse.

 

La culture antisémite commune aux pays d’Europe a vue son apogée dans la Shoa. Mais ce crime de masse (6 millions de morts) n’est en rien un phénomène « magique » ayant surgi de rien. Que ce soit en France ou en Pologne, en 1830 ou en 1940, les éléments de communication utilisés pour stigmatiser le Juif sont les mêmes, les motifs sont les mêmes, la haine est la même, comme si la haine du Juif était un éléments de la culture européenne…

 

Loïc Di Stefano

 

Stéphane Grimaldi (sous la direction de), Dessins assassins, ou la corrosion antisémite en Europe, 1886-1945, Fayard, janvier 2018, 207 pages, 25 euros

 

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