Faire une nation, un long processus historique

Historienne italienne peu connue en France, Elena Musiani propose avec Faire une nation : les italiens et l’unité de revenir sur le Risorgimento (littéralement la résurrection), l’unification italienne. Elle la présente comme inachevée et cela continue, aujourd’hui encore, de se sentir selon elle. De cet ouvrage passionnant, on peut retenir ici plusieurs pistes.

Un héritage culturel ne fait pas une nation

Souvent, dans l’histoire qui est faite de l’unité italienne, les contemporains puis les historiens ont noté l’importance de l’héritage romain, de celui du catholicisme et de la renaissance dans la formation de l’identité italienne. Or, la lecture de Faire la nation relativise cette assertion. Pendant longtemps, les identités locales l’emportent largement sur un sentiment national qui n’existe pas. C’est dans les élites, aristocratiques et bourgeoises, que naît dès le XVIIIe siècle, dans une péninsule morcelée et sous influence étrangère, un sentiment « pré-national ». La paysannerie, tant au nord qu’au sud, y reste étrangère.

Le rôle essentiel de la France

Selon Elena Musiani, la période révolutionnaire et napoléonienne permet des avancées notables, permettant de faire reculer la féodalité, d’enrichir bourgeoisie et aristocratie qui rachètent à bas prix des terres détenues par l’église et qui permettent à nombre d’italiens de s’initier à pas mal d’idées et de concepts politiques. Plus tard, après l’échec de la République romaine et des partisans de Mazzini, le piémont et la maison de Savoie récupèrent à leur profit l’idée italienne et réussissent à nouer une alliance avec Napoléon III. La guerre de 1859 fait reculer l’Autriche et met à bas nombre de petits états du Nord avant que Garibaldi ne réussisse, avec l’assentiment français, à faire tomber la monarchie des Bourbons à Naples et en Sicile. Et la défaite de la France à Sedan permet in fine de lever le dernier obstacle avec l’évacuation de Rome par les français en 1870.

La fabrique des Italiens

Après l’unité, restait à faire un peuple qui dans sa majorité ne parlait pas l’italien. Elena Musieri raconte ici comment une mythologie nationale s’est créée, avec de grandes figures comme Garibaldi, exalté au nord comme au sud. Elle rappelle le rôle de l’école, des commémorations. Reste que des mémoires concurrentes sont demeurées, celle des catholiques fidèles au pape qui avait perdu ses états, celle du Mezzogiorno, dont Le guépard de Lampedusa (et de Visconti) s’est fait l’écho. Le Risorgimento a donc continué après 1870, même si aujourd’hui il ne soulève plus les passions d’une nation engourdie… excellente synthèse sur un sujet largement méconnu en France.

Sylvain Bonnet

Elena Musiani, Faire une nation : les italiens et l’unité (XIXe – XXIe siècle), Gallimard, « Folio histoire », février 2018, 368 pages, 7,90 euros