« Forever and a Day », un nouveau James Bond volapuk

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Le nouveau « Bond », intitulé Forever and a Day, sort dans quelques jours au Royaume-Uni. ‒ Pas en France ? ‒ Non, car il ne s’agit pas du nouveau film de la série, qui, à l’heure actuelle, et malgré quelques annonces fracassantes, est encore en jachère, mais du nouveau roman ayant pour héros James Bond. On sait en effet que, depuis la mort de Ian Fleming il y a un demi-siècle, différents écrivains ont eu pour mission de prolonger l’existence de son double (zéro-sept) littéraire. Cette fois-ci, il s’agit d’Anthony Horowitz, auteur prolifique, essentiellement connu pour ses ouvrages destinés à la jeunesse, mais également responsable d’une résurrection de Sherlock Holmes (La Maison de soie), et déjà, il y a trois ans, d’un autre « Bond », intitulé Déclic mortel. 

Nous ne nous étendrons pas ici sur les mérites littéraires de cette nouvelle aventure, qui se présente, du point de vue de l’intrigue, comme un croisement entre Au service secret de Sa Majesté et Vivre et laisser mourir, et dont la tonalité générale, exception faite pour quelques pages horriblement cruelles, n’est pas sans rappeler celle d’un vieux « Club des Cinq ». Mais deux éléments au moins retiennent a priori  notre attention : 1. cette sequel est en fait une prequel, puisqu’elle se situe avant le premier « Bond » de Fleming, Casino Royale, et nous fait assister à l’accession de Bond dans la section des 00 (autrement dit, Horowitz reprend le principe du prégénérique du film Casino Royale, avec Daniel Craig) ; 2. l’intrigue se déroule presque intégralement sur la Côte d’Azur et à Marseille.

Ce second point devrait nous toucher particulièrement, nous lecteurs français, mais c’est précisément là que le bât blesse : toutes les expressions in French in ze text semblent sorties d’un manuel de volapuk. Deux exemples parmi d’autres : Bond demande où se trouve « le département des comptes » lorsqu’il se présente dans les bureaux d’une entreprise, alors que, on l’aura compris, il cherche « le service de la comptabilité » ; et quand ‒ mission oblige ‒ il entreprend de fourrer son nez là où il ne devrait pas, il rencontre sur son chemin un panneau ainsi rédigé : « Avertissement ‒ Personnel autorisé seulement ». Traduction on ne peut plus fidèle, certes, de l’anglais « Warning ‒ Authorized Personnel Only », mais dont l’équivalent français ne saurait être autre chose que « Entrée interdite à toute personne étrangère au service ». 

Ces deux fautes et quelques autres ne seraient pas vraiment pendables si Horowitz ne racontait dans ses interviews ‒ déjà multiples ‒ accordées à la presse anglaise qu’il se rend régulièrement sur la French Riviera depuis l’âge de huit ans et si la rumeur ne nous disait que, fort du succès de Déclic mortel, il a passé trois mois, aux frais de son éditeur, à effectuer recherches et repérages sur le terrain pour ce nouveau roman. Et si, comble de l’ironie, un des personnages récurrents de celui-ci n’était un interprète ‒ qu’il s’obstine d’ailleurs curieusement à nommer translator, alors qu’en anglais, ce terme est officiellement réservé, comme traducteur en français, au domaine de l’écrit. 

Si l’on veut être précis, la langue française était souvent malmenée chez Fleming lui-même. On se bornera à citer ici sa manière de baptiser un hôtel français « Hôtel Splendide », avec un -e, alors que le chic en Gaule, dans les années cinquante et soixante, voulait que les hôtels se nommassent « Hôtel Splendid ». Mais il y avait quelque chose de touchant dans cette faute ‒ expression d’un désir de bien faire, alors qu’il est clair que Horowitz s’est contenté de recourir à Google Translation et que sa désinvolture s’inscrit dans un mépris général à l’égard des Français (Vous vous étonnez qu’un dock de Marseille soit désert vers 13h. ? C’est donc, grand naïf que vous êtes, que personne ne vous a jamais dit que les Français passent des heures à savourer leur repas invariablement composé de trois actes ‒ entrée-plat-dessert…). 

En lisant Forever and a Day, l’auteur du présent article s’est rappelé le « laboratoire de langues » où il travaillait à Londres dans sa jeunesse. Des messieurs de la City, très élégants et très dignes et déjà d’un certain âge, répétaient pieusement, après les avoir entendues sur le magnétophone qui leur dispensait la leçon du jour, des formules telles que : « Elle est bien, la fille ! », parce que c’est comme ça qu’on cause, c’est bien connu, au pays de Molière, chaque fois qu’on croise une personne du sexe.

Nous avons omis de préciser que Forever and a Day inclut aussi un certain nombre de phrases ou d’expressions en corse dans le texte. Notre (in)compétence ne nous permet pas de porter un jugement sur leur valeur ou validité linguistique, mais Horowitz pourrait avoir des ennuis avec la mafia corse qu’il dénonce si son corse est du niveau de son français et s’il se trouve parmi les mafieux corses un fin lettré.

Cependant, l’avouerons-nous ? tout ce que nous venons de décrire a de quoi réjouir profondément les soutiers dans notre genre qui ont passé une large partie de leur existence à traduire des textes de tout poil : il est clair que, même si des progrès impressionnants ont déjà été accomplis, la machine à traduire n’est pas encore au point. 

P.S. ‒ Note à l’intention du traducteur qui aura la charge d’établir une édition française (mais y en aura-t-il une ?) : le titre français qui s’impose de lui-même pour Forever and a Day, à savoir L’éternité et un jour, est malheureusement déjà pris par le film franco-gréco-germano-italien de Theo Angelopoulos  qui a obtenu la Palme d’or du 51e Festival de Cannes. Des sites Internet proposent Ad vitam aeternam, mais n’est-ce pas repousser la difficulté ?

Trop mauvais. C’est mille pitiés.

 

FAL

 

P.S. 2 ‒ Nos amis français de l’Eurovision se sont-ils rendu compte qu’en criant « Mercy ! merci ! », ils demandaient « Grâce ! » pour la majorité des Européens ?  

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