Harold, oiseau de malheur et suspense hitchcockien

Harold, roman noir hitchcockien de Louis-Stéphane Ulysse, éditions de la Bibliothèque, La réédition à ne pas rater

 

Hitchcock et son film Les Oiseaux est le cœur de l’intrigue de Harold. Mais quelle idée a pu traverser l’esprit de l’écrivain Louis-Stéphane Ulysse quand il a écrit ce roman noir atypique et magnifique ? Paru initialement au Serpent à plumes en 2010, on peut y voir, déjà, un effet du magnétisme animal qui transpire de l’histoire. Un fil, revu et corrigé comme le veut l’expression consacrée, par sa plume acérée. Thrilling and terrifying !

 

Un noir destin en slow motion

 

Rien moins que près de 300 pages, écrites sous la forme de chapitres courts. À l’écriture resserrée, autour d’une intrigue à la chronologie implacable. De 1957 à 1967, une descente aux enfers en slow motion.

En guise de scène d’ouverture, la naissance, toute de cruauté, du corbeau Harold à Vienne en 1957. Asservi et enferré par un éleveur qui n’a d’homme que le nom, l’oiseau vient au monde dans une noirceur qui n’a d’égale que son plumage et ses yeux sidérés. Recueilli par un vieux magicien, Lazlo, qui l’éduque à ses tours, son destin le mènera sur les terres du rêve américain. Ou de son cauchemar. Centre d’attention d’un show à Las Vegas, repéré par le milieu interlope d’un showbizz acoquiné au milieu, il dérange très vite par sa perverse intelligence, par une dangerosité plus que sournoise. Car le spectacle effraie, l’oiseau frôlant souvent une agressivité retenue.

 

L’attention de Lee se porta sur celui que le magicien avait appelé Harold. Plus vif que les deux autres, ses acrobaties étaient presque terrifiantes. Plusieurs fois, au milieu des cris apeurés de l’assistance, il fondit en piqué sur l’une des tables, avant de rétablir son vol au dernier moment, pour revenir défier ses partenaires d’un croassement triomphal. Il paraissait se délecter de l’angoisse provoquée, comme s’il en jouait, et comprenait ce que ressentaient les humains face à ses acrobaties. »

 

Quand on veut se débarrasser de son chien, c’est bien connu, on l’accuse de la rage. Les proprios louches du casino limogent alors le duo improbable. La route de l’ouest semble ouverte et son miroir aux alouettes : Hollywood. Lazlo ne le verra jamais. En cette année 1958, Harold est alors livré à lui-même. Le désert du Mojave en terrain de jeu.

 

 

Chase, l’autre drôle d’oiseau

Chase Lindsey, en cette année 1961, est un dresseur d’oiseaux reconnu. Dans sa ferme de Lake Isabella en Californie, apparaît un matin un drôle d’oiseau, en piteux état. Un corbeau amaigri, comme au bout du rouleau. Ses volières sont suffisamment grandes pour qu’il l’héberge. Car il est intrigué par son comportement. Une façon de se tenir près de l’homme, aux aguets. Et cette défiance spontanée des autres volatiles. Harold, car c’est bien lui, vient donc de resurgir. Comme porté par ce vent chaud, depuis les montagnes à l’est, et par delà le Mojave, qui apporte parfois de bien étranges surprises. Comme ces légendes indiennes portées par la nuit, qui perdurent dans les vallées et les canyons.

Les dresseurs d’oiseaux, c’est un petit monde de spécialistes très particulier. S’il forme un réseau étroit et efficace, qui se respecte, ils sont, le plus souvent, solitaires et mutiques. Aussi bizarres que leurs oiseaux parfois.

 

 

Le Tournage de Birds, un envol de courte durée

 

Alors quand son confrère, Troy Garnett, qui travaille occasionnellement pour les studios de Hollywood, lui propose de le rejoindre, Chase saute sur l’occasion. Le commanditaire est en fait Ray Berwick. Le dresseur animalier le plus en vue. Il a un besoin pressant de beaucoup d’oiseaux, près de 20 000 têtes, pour le tournage d’un film entre science-fiction et fantastique par le maître Alfred Hitchcock. Et Universal est aux manettes, autant dire que le pactole est assuré.

En février 1962, la tâche est accomplie. Alors, à Bodega Bay, Harold et ses coreligionnaires à plumes, rejoignent l’équipe pléthorique du tournage. Et la magie opère. Les Techniciens, dont les dresseurs, cohabitent avec les acteurs, les doublures. Les rôles de chacun disparaissent tous les soirs, lors de fiestas arrosées et chaleureuses. Chase et Harold s’accoutument. Les seuls que l’on ne croisent pas sont Hitch, et sa nouvelle pépite Tippi Hedren, lancée pour ce film sous les projecteurs. La nouvelle protégée d’Alfred Hitchcock. Couvée par le réalisateur, faiseur de stars, accoucheur de reines. Mais à quels prix ?

 

 

Harold en mascotte, Hitchcock en pygmalion, Tippi Hedren en proie

 

Chase est comme les autres. Fasciné par la présence de ce couple étrange. Tippi Hedren, magnifique mais froide, et Hitchcock, puissante présence qui guette de façon maniaque les faits et gestes de sa star à naître.

Personne n’est ménagé, dans cette arche de Noé étrange. Et Harold, le premier, donne de sa personne dans les scènes cibles du film. Il en devient indispensable et un autre objet de foire aussi. Son acuité à jouer, et à dominer, n’a d’égal que celle du réalisateur. Il protège même Tippi. Des autres oiseaux, toujours ensauvagés pour certains. Ou des humains parfois. Elle s’en amourache presque, dans un jeu de domestication bizarre. Anecdotique, au début, même pour Chase. Car dans cette partition, toute en faux semblants, il n’est pas le dernier à jouer de l’ambiguïté. Hypnotiser par le monde qui l’entoure. Les paillettes, l’argent, la nouveauté. Entre passion et répulsion pour les vices qui courent en arrière-plans. Et les frères Gianelli, petites frappes de Los Angeles, en mentor qui magnétisent les courtisans comme les sans grades.

 

 

Un décor trompeur et des âmes torturées

 

Alors est-ce l’ambiance particulière de l’histoire du film qui transforment les âmes des uns et autres en un nœud inextricable ? Ou plutôt l’influence délétère de la pègre, toujours présente à Hollywood, qui chamboule les êtres dans des passions inavouables ? Car l’histoire que raconte Les Oiseaux d’Hitchcock, n’est pas banale. L’attaque avérée, en 1961, du village de Bodega Bay, par des puffins, des oiseaux de mer apparentés à nos mouettes. Cet étrange déboussollement, jamais expliqué, passionna Hitch. Il y vit la trame d’un drame comme il en raffolait. Un mix parfait entre fantastique et science-fiction décalée, et cette ambiance de suspense dont il était le maître absolu. Et un voyeurisme malsain assumé.

Peu lui importait les moyens et les techniques. Il cherchait obsessionnellement à réussir un film de terreur parfait.

La postérité lui a donné raison. Très loin de la nouvelle originelle de Daphné Du Maurier (particulièrement de sa fin), mais très près de ses ambiances étranges. Il imposa des images et des effets chocs si réalistes, entre trucage et réalité, qu’il transforma son plateau en théâtre digne de grand guignol. Avec une ambiance de plus en plus perverse.

 

 

Qui est le maître l’homme ou l’animal ?

 

Dès lors, ce ne sera que jeu du chat et de la souris entre les protagonistes de l’histoire. Les couples pervertis portent puis font tomber tout à tour leurs masques de chair. Ils révèlent chacun leurs esprits enfiévrés. Le tournage se poursuit dans les studios Universal à Hollywood, dans une ambiance de plus en plus pesante. Les scènes sont interminables. Les accidents couvent. Les cris fusent, et les scènes entre Tippi et Hitch se multiplient.

Hitchcock d’abord. Car son obsession pour Tippi prend une mauvaise tournure. Un harcèlement qui ne dit pas encore son nom. Qui transpire, littéralement. Il perd petit à petit le contrôle de ses pulsions. Comme en proie à une chasse, comme tout prédateur, quand les instincts se font trop forts.

Chase, ensuite. Plus insidieusement. Qui reproduit ce puissant désir là aussi. À l’envers, en quelque sorte. En attirant malgré lui, la douce Éva Beaumont. Doublure de… Tippi Hedren. Femme fatale en mode second rôle.

Harold, enfin. Le corbeau, oiseau de mauvaise augure incarné. Qui est à l’affût de la star. Aux aguets. Dardant son œil noir et plantant ses griffes acérées sur tout rival possible. Bête ou homme.

Qui dans cette volière est la victime ou le bourreau ?

 

 

Un tour de force

 

N’ayons pas peur des mots. Depuis Le Dahlia noir et Le Quatuor de Los Angeles de James Ellroy, je n’avais ressenti une telle puissance narrative dans un roman noir. Surtout dans un roman qui joue à nous perdre dans les mêmes eaux. Une gageure relevée haut la main par Louis-Stéphane Ulysse. Car c’est bien de noirceur qu’il s’agit. Et de ce plaisir coupable du lecteur qui va au-delà d’une documentation extrêmement bien rendue. Que ce soit l’Hollywood des 60’s, sa faune bigarrée de comédiens, de techniciens et d’affairistes. Que ce soit la pègre, qui se goberge sur le fric qui ruisselle. Se persuadant que les beaux jours sont encore là. Mais le monde change. Le politique couche avec le luxe, les enjeux grimpent, les lignes bougent. Et à trop flirter avec le mal, la sanction est inévitable et sordide.

Car du sordide, il en pleut des trombes. La lâcheté et la violence des mâles, la veulerie du monde des affaires, la soif inextinguible de pouvoir des puissants. Avec, comme paroxysme, de cet univers d’espionnite aiguë, de fascination pour le spectacle et le secret : les snuffs movies. Les meurtres, les tortures, les viols et les assassinats filmés et vendus sous le manteau. Pour tous les pervers du monde qui s’en délectent en secret. Vicebook avant l’heure.

Les digressions sur l’Histoire américaine (l’attentat de Kennedy à Dallas et la fameuse image 113 censurée du seul film amateur de l’attentat), les appartés sur les anecdotes du cinéma hollywoodiens (les affres d’un monde agonisant). Tout concoure à nous rendre voyeur.  À devenir nous aussi cet œil de Caïn qui regarde dans la tombe. Une acmé de la société du spectacle. Hollywood en dieu païen tel un Bâal avide de sacrifices propitiatoires.

 

On broie du noir et c’est bon !

 

La broyeuse ne nous quittera plus. Même sur le tournage du second film avec Tippi par Hitch, Pas de pitié pour Marnie, au titre sibyllin. À l’ambiance encore plus glauque que le précédent. Le dernier avec le maître. Qui consommera la rupture avec miss Hedren. Et plongera les deux dans un « ce ne sera plus jamais pareil après » fatal.

Jusqu’à l’espoir de rédemption final qui est impossible. Car il n’y a pas de place pour un rachat. Les fautes doivent être expiées. Et le mal, déguisé en bête ou déguisé en homme, tient toujours le meilleur rôle. Certes la métaphore crève les yeux, entre le corbeau et Hitchcock, Chase et Éva, entre l’animalité et la perversité déguisées de l’homme face à ses désirs les plus pervers.

Donc, un immense merci à M. Jacques Damade, éditeur de la splendide maison La Bibliothèque, pour cette réédition. Comme toujours, si belle dehors et si forte dedans !

Révérence et chapeau bas M. Louis-Stéphane Ulysse !

La corollaire de ce magnifique roman, est donc tout trouvée : vite un autre roman !

 

Marc-olivier Amblard

 

Louis-Stéphane Ulysse, Harold, La Bibliothèque, « l’ombre animale », 21 euros

Pour en savoir plus sur l’auteur, allez baguenauder sur son blog riche en surprises.

 

 

 

 

 

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