Les héroïnes de cinéma sont plus courageuses que moi

Voici un bien étrange livre.

Tellement étrange que je ne sais trop comment le présenter. Lâchement je préfère me réfugier derrière le communiqué de presse :

« Le livre se présente sous la forme de vingt-trois nouvelles balançant entre littérature et documentaire : tous les faits rapportés sont vrais, l’auteur cependant met sa patte fictionnelle et son éclairage personnel pour faire de cette histoire du cinéma un livre original, à la tonalité politique et féministe, qui intéressera tout autant les cinéphiles que les lecteurs de littérature générale. »

Désolé si cet extrait est un peu long. Et un peu confus. Voire un peu mensonger.

Car en aucun cas il s’agit d’une histoire du cinéma. Je dirais plutôt des historiettes autour du cinéma. L’auteur prend des personnages féminins tirés de films connus ou méconnus pour soit rendre hommage à des comédiennes, soit recréer l’ambiance d’une scène, soit narrer des anecdotes, soit partir dans des délires strictement personnels. D’où un mélange aux allures de patchwork.

Je me contrefiche de savoir que ledit auteur s’est masturbé en contemplant Jennifer Jones dans Duel au soleil… Je ne m’intéresse pas plus à la vie campagnarde de sa grand-mère (celle de l’auteur non celle de Jennifer)… Je ne suis pas du tout d’accord quand explosent des phrases à l’emporte-pièce, balancées comme des vérités premières. Du genre « aujourd’hui les cinéphiles ignorent le nom de Luise Rainer ». Faux ! N’importe quel amateur de cinéma hollywoodien un peu éclairé se souvient de cette comédienne oscarisée, cantonnée dans des rôles d’ « étrangères ». Faux également l’affirmation affirmant que Norma Rae de Martin Ritt est désormais passé à la trappe. La sortie de ce film, en 1978, fit suffisamment de bruit pour qu’il en reste quelques échos… Je ne comprends pas le besoin de mélanger un film sur Jeanne d’Arc avec une diatribe sur le Front National. Presque aussi vain que voir dans La Rose et la Flèche une apologie du socialisme…

 

Les Héroïnes de cinéma sont plus courageuses que moi
Jennifer Jones dans « Duel au Soleil »

 

Dans la grande majorité de ses pages, ce livre raconte des scènes de film, redonnant vie plus au personnage qu’à l’actrice qui l’interpréta. Quitte, parfois, à inventer des scènes, comme cet avant-propos à Thelma et Louise.

Donc, il me faut me répéter, il ne s’agit pas à proprement parler d’un livre de cinéma. Plutôt des considérations, des souvenirs voire des délires autour de certains films ou de certaines scènes. Pourquoi pas après tout ?

Mais. Et ce « mais » est de toute première importance, ce livre contient deux pépites. Qui brillent aux yeux des amateurs de septième art. La première est la formidable description du tournage du Sel de la terre d’Herbert Biberman (1954). Le film le plus blacklisté de toute l’histoire du cinéma américain. Chaque jour l’équipe technique devait affronter des hordes de problèmes allant de tempêtes de sable provoquées par des avions, à des bastons générées par des gros bras. Ce tournage a fait l’objet d’un livre (Salt of the Earth: The Story of a Film) écrit par Biberman lui-même. Une tragédie qui rappelle, si besoin, qu’Hollywood n’a jamais été le pays des Bisounours… L’autre chapitre intéressant consiste en une interview inédite (mais hélas trop courte) de la véritable Erin Brokovich qui donna son nom et son histoire à un film avec Julia Roberts. Là aussi, on y parle de l’envers d’Hollywood.

 

Extrait du film « Le Sel de la terre »

 

Deux pépites ce n’est pas si mal. Auxquelles on peut ajouter quelques intéressantes narrations de parcours de stars du passé, d’origine chinoise ou russe. Dommage que tout le livre ne soit pas resté dans cette direction. Cela aurait fait de lui un voyage passionnant dans des zones oubliées du cinéma mondial.

Au fait, vous pouvez revoir Duel au soleil sans avoir la moindre envie onaniste. Heureusement.

 

Philippe Durant

 

Guillaume Géraud, Les Héroïnes de cinéma sont plus courageuses que moi, Editions du Rouergue, « la brume », février 2018, 187 pages, 18,90 euros

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