Histoire économique de Vichy, les aspects méconnus des années noires

Vichy, encore et toujours

 

En finira-t-on un jour avec l’Histoire de Vichy ? Vraisemblablement pas tant l’ombre de ces quatre années plane toujours sur la société française. Ici, l’approche des trois auteurs est de privilégier le terrain économique, d’en dégager les traits les plus saillants afin de comprendre la singularité du régime de Pétain et, a contrario de souligner les continuités avec l’avant-guerre et/ou les années qui suivent la Libération. Les trois auteurs sont plutôt des spécialistes d’Histoire économique. Fabrice Grenard est l’auteur de La France du marché noir 1940-1949 (Payot, 2008), Florent Le Bot a quant à lii publié La Fabrique réactionnaire : antisémitisme, spoliations et corporatisme dans le cuir (Les presses de science po, 2007). Cédric Perrin est surtout un spécialiste des PME et de l’apprentissage.

 

Collaborations

 

On ne résumera pas cet ouvrage, touffu mais passionnant. Relevons d’ores et déjà que les trois auteurs font un sort à une thèse couramment répandue d’un patronat acquis à la Collaboration avec l’Allemagne nazie dès les années 30. La défaite et le choix de Pétain de collaborer avec les nazis amène mécaniquement des patrons et des chefs d’entreprise vers cette voie, à un moment où l’économie peine à redémarrer et où les allemands pillent littéralement l’hexagone (quant à l’Alsace et à la Lorraine, elles sont annexées de facto). Les entreprises ont de plus très rapidement à pâtir de la Relève et du STO qui envoie des centaines de milliers de travailleurs en Allemagne. L’autre voie c’est d’accepter les commandes allemandes, de devenir des entreprises « protégées » : c’est le sens des accords Speer/Bichelonne de 1943. Pour autant, le patronat n’était pas pro-nazi dans son ensemble. Les Peugeot aidèrent au sabotage de leurs usines, Michelin refusa longtemps des commandes allemandes.

 

Affiche de propagande du gouvernement de Vichy (1943)

 

 

L’intégration à l’espace économique nazi

 

Le IIIe Reich n’avait rien de prévu concernant l’occupation de la France et adopte au début un comportement de prédateur. Mais l’enlisement à l’Est face à l’armée rouge amène les allemands à faire tourner la machine économique française en leur faveur. C’est ainsi que Renault, Peugeot ou Ford France fabriquèrent des camions pour la Wehrmacht. Que Michelin fournit des pneus. Tout le problème à la Libération sera de déterminer une collaboration « voulue » d’une collaboration « subie ». Vaste chantier pour les épurateurs… En tout cas, la France de Vichy, fragmentée en plusieurs zones, est vassalisée par le Reich qui l’exploite sans vergogne en vue de son effort de guerre : on est loin de la collaboration franche et égalitaire ! Vichy put par contre démontrer sa souveraineté en procédant à l’aryanisation des entreprises et des biens des juifs français, les allemands n’étant pas en capacité matérielle de l’exécuter….

 

Continuité de la mutation économique française

 

Les trois auteurs distinguent un temps long de trente ans (1920-1950) où la France se métamorphose, adopte le taylorisme, rationnalise sa production industrielle, fait entrer les technocrates dans la gestion de l’économie, etc. Pour eux, le régime de Vichy, tiraillé entre les traditionnalistes maurassiens qui rêvent de retour à la terre et les technocrates de Darlan (puis de Laval), joue un rôle « malgré lui » dans cette mue. La gestion des pénuries, le poids de l’occupation ne pouvaient de toute façon pas favoriser l’exécution de plans ambitieux. Voilà en tout cas une synthèse riche, détaillée sur cette période clé, malheureusement, de notre histoire.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Fabrice Grenard & Florent Le Bot & Cédric Perrin, Histoire économique de Vichy, Perrin, septembre 2017, 448 pages, 27 euros

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