Hommage à Lewis Gilbert, l’un des pères de James Bond

Dans l’inconscient collectif, James Bond apparaît comme un chevalier moderne, armé de gadgets, affrontant un méchant mégalomane à col Mao, au cœur d’une gigantesque base high-tech. Cette imagerie, souvent parodiée (voir la dernière campagne de pub d’une certaine compagnie d’assurances !), trouve son origine dans On ne vit que deux fois, sorti en 1967. Un film qui a véritablement marqué l’imaginaire des cinquante dernières années. Son réalisateur vient de mourir, à l’âge vénérable de 97 ans. C’était un artisan modeste et discret. Il s’appelait Lewis Gilbert.

Certes, Gilbert n’est pas le seul responsable de cet exploit. Deux ans plus tôt, avec Opération Tonnerre, Terence Young avait déjà posé les jalons du mythe : un 007 invincible, une menace planétaire, un Blofeld machiavélique caressant son chat blanc. Et, pour rendre à César ce qui appartient à César, le génie architectural de Ken Adam, ainsi que le lyrisme du compositeur John Barry, ont été essentiels dans cette empreinte indélébile laissée par On ne vit que deux fois. Mais, que je sache, Ken Adam et John Barry n’ont pas réalisé ce film. Qu’on le veuille ou non, c’est bien Gilbert qui, tous les jours, sur le plateau, a donné vie à cette fameuse imagerie, choisissant minutieusement les angles de caméra pour mettre en valeur telle ou telle partie du décor, inscrivant précisément les acteurs dans l’espace, imposant son rythme dans leurs mouvements et leurs dialogues, ayant seul en tête ce que nous allions voir (ou pas) sur l’écran.

 

 

Chaque metteur en scène de la saga possède, à la base, son talent personnel et ses marottes. L’avantage des Bond, c’est que, grâce à l’extraordinaire équipe de Eon Productions, et grâce à la magie unique du héros de Ian Fleming, ce talent et ses marottes sont à chaque fois transfigurés. Ainsi, auparavant, Gilbert s’était fait remarquer par sa direction d’acteurs subtile (dans ses comédies) et par sa propension à filmer les combats épiques (dans ses films de guerre ou maritimes). Logiquement, avec On ne vit que deux fois, et dix ans plus tard avec L’Espion qui m’aimait, Gilbert a mis en scène les scènes intimes les plus touchantes de la saga (la mort tragique de Aki, la dispute amère avec Anya Amasova), ainsi que les batailles rangées les plus grandioses, 007 devenant avec lui, et seulement avec lui, le noble commandant d’une troupe militaire, à l’assaut d’une forteresse.

Cette excellence formelle, inhérente aux productions Eon, est magnifiée chez Gilbert par le choix, tout personnel, de prendre des directeurs de la photo prestigieux : pour On ne vit que deux fois, il choisit Freddie Young, le chef-op de Lawrence d’Arabie (excusez du peu) ; pour L’Espion qui m’aimait, il opte pour Claude Renoir, chef-op attitré du grand Jean Renoir, avec à son palmarès « le plus beau film en couleur de l’histoire du cinéma » (dixit Martin Scorsese) : Le Fleuve.

 

 

Ce n’est donc pas un hasard si, dans la trilogie bondienne de Gilbert, le cinémascope prend une ampleur particulière. En filmant longuement, en plan large et dans toute la profondeur de champ, les cavités monstrueuses de Ken Adam, et en y montrant, par un étonnant jeu d’échelles, des centaines de soldats « miniatures », le cinéaste a créé pour le spectateur moderne une nouvelle Tapisserie de Bayeux, une fresque de l’ère atomique, fourmillant de mille détails, qu’on ne se lasse pas de scruter.

Oui, à titre personnel, je dois l’avouer : les trois James Bond de Lewis Gilbert sont les seuls qui me donnent envie de plonger dans l’écran, pour vivre à l’intérieur. Grâce à la définition cristalline des éditions Blu-ray, il m’est arrivé à plusieurs reprises de me mettre à quelques centimètres du téléviseur. Pour que les bandes noires du cinémascope s’estompent. Pour contempler sans entraves cet univers fantasmagorique.

Et le visiter…

 

Claude Monnier      

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