Houellebecq, le désir insatiable de consolation

Véritable enquête littéraire, Agathe Novak-Lechevalier décrypte dans Houellebecq, l’art de la consolation, les livres et l’empreinte dans les lettres françaises l’écrivain français plébiscité mondialement. afin de rétablir des vérités, faire le point, rendre raison à , souvent mal compris et honnis en France, dont la poésie et les romans sont le triomphe de la consolation française, et de la littérature fin-de-siècle.

 

 

Au cœur du mal

 

Le XXe siècle ne cesse pas de finir ; il s’épuise mais ne meurt pas, la preuve : Houellebecq est toujours là ! Michel Houellebecq c’est l’écrivain dépressif, cynique, raciste, immoral, « déprimiste », misogyne, abject, néo-réac’, prophète de malheur, marchant de désespoir, etc. Houellebecq c’est l’écrivain qui ramène l’homme au stade de sous-homme, c’est le mépris du genre humain, c’est le nihilisme, la médiocrité, la désolation élevés au rang de revanche sur le monde et la défaite. Houellebecq c’est le diable !

Houellebecq, c’est également cet écrivain sans style, au personnage unique, à la pensée unique, qui, faisant de l’argent sur la misère et la disparition du français moyen, de l’homme blessé, du misérable perdant dans la société de compétition capitaliste et libérale, produit depuis déjà vingt ans le même livre. Bref ! Houellebecq, c’est l’extension de la déprime, de la lutte des classes, l’écrivain des sans-grades, des opprimés, c’est la revanche des perdants sur les gagnants, c’est l’écrivain du ressentiment généralisé !

Et, pour clore le tout, comme nul n’est prophète en son pays, « l’œuvre de Michel Houellebecq est paradoxalement beaucoup plus uninamement saluée à l’étranger que dans son propre pays ».

Houellebecq n’est pas le bienvenu dans les universités françaises, et demeure l’écrivain honnis d’une certaine intelligentsia des lettres germano-pratines. Néanmoins, Houellebecq se vend, et chaque nouvelle parution est l’événement dont il faut causer.

 

Houellebecq, l’écrivain abject

 

Je connais peu de livres comme celui d’Agathe Novak-Lechevalier traitant de l’œuvre de Houellebecq qui soient aussi puissants pour faire comprendre cette littérature à l’épreuve du monde contemporain. Qui n’a plus en mémoire les premiers pas de l’écrivain, en 1994 chez Maurice Nadeau avec son Extension du domaine de la lutte, et, en 1998 avec ses Particules élémentaires, et les foudres que ce roman déclencha, poussant un journaliste du Figaro de l’époque Dominique Goui à lancer « une première slave contre ceux qu’il désigne comme les « nouveaux inquisiteurs de la littérature », gardiens autoproclamés du « politiquement correct ». » Qui n’a plus en mémoire le troisième roman dit « raté » Plateforme en 2001, les propos insultants tenus par l’écrivain sur l’islam, puis son transfert à 1 million d’euros chez Fayard en 2005, considéré comme un « transfert du siècle » digne des « mœurs footbalistiques ». Qui n’a plus en mémoire son Goncourt contesté en 2010, et son Soumission, véritable raz-de-marée européen en 2015.

En résumé, Michel Houellebecq est le dernier écrivain aujourd’hui qui compte, et fait couler de l’encre, car, Agathe Novak-Lechevalier le rappelle avec justesse, depuis Les Particules élémentaires, tous ses romans déclenchent les foudres et les indignations.

Or, qu’est-ce qui choque dans cette œuvre ? Pourquoi Houellebecq, poète urbain, écrivain d’un seul roman décliné sur des variations multiples, dérange-t-il tant les médias, le petit milieu littéraire parisien, et une certaine qualité de lecteurs ?

 

Contaminations

 

Le personnage de Houellebecq est un personnage récurrent. C’est sûrement même la marque de fabrique de l’écrivain. Son coup de génie, « des personnages seuls et tristes, souffrants, mutiques, incapables de mener une action concrète et fondamentalement étrangers à un monde sur lequel ils n’ont, semble-t-il, aucune prise. » Une fragilité et une apparence maladive qui rappelle l’aspect de l’auteur lui-même, que l’on imagine s’ingénier à nourrir l’ensemble de ses protagonistes récurrents. Houellebecq dépeint le dépressif de la fin du XXe siècle. Or, comme si le personnage/auteur pouvait contaminer ses lecteurs de sa maladie du siècle, il s’agit de s’en méfier car « À auteur dépressif roman déprimant – et lecteur déprimé. » Le cœur de ses histoires contemporaines, la dépression, d’où le chapitre intelligent de Nancy Huston « L’extase du dégoût » dans son livre Professeurs de désespoir dans lequel elle passe en revue « les négativistes ».

 

Dynamiser les préjugés

 

En quelques pages, Agathe Novak-Lechevalier rejette toutes les étiquettes qui ont soumis Houellebecq à l’image d’un écrivain infréquentable : cynique, néo-réac, vendu, nihiliste, misogyne, prophète de malheur, etc. « Il y a deux manières, actuellement, chez les universitaires français, de refuser d’étudier Houellebecq. Le premier type de refus, sans doute le plus courant, est d’ordre idéologique ; le second tient à la trop grande exposition médiatique de Houellebecq […] »

 

La littérature comme consolation

 

La seconde partie de l’ouvrage est alors magnifiquement instructive, et est consacrée à la thèse de l’auteur : la littérature de Houellebecq est une littérature de la consolation. « La pratique consolatoire, écrit Agathe Novak-Lechevalier, trouve sa source dans la philosophie conçue comme médecine de l’âme : acquérir une connaissance du fonctionnement du monde permet d’éloigner les tourments maladifs des passions et de mieux tendre vers la paix et la raison […] » Il est vrai que depuis l’Antiquité grecque où cette pratique était la plus courante, la consolation fut discréditée et considérée comme largement inefficace par les penseurs plus modernes. Or, au discrédit s’est ajoutée la suspicion face à la consolation, notamment depuis le XIXe siècle, la critique faisant « du consolateur un manipulateur et de la consolation un leurre qui détourne l’individu de toute action concrète visant à transformer effectivement le monde ». Ceci dit, à une nuance près, soutient l’universitaire, c’est que Houellebecq repense la consolation. Ajouter à la consolation, la réconciliation.

L’œuvre, selon les dires de l’auteur, montre à voir les blessures mais sans la douleur. Une œuvre impudique, mais sans le renoncement non plus à retrouver « un idéal qui transcende la vie ».

 

Houellebecq, écrivain du bonheur

 

Autre argument avancé par Agathe Novak-Lechevalier, celui d’un écrivain qui recherche le bonheur. La preuve en est, les titres de ses premiers livres : Rester vivant, méthode ; La Poursuite du bonheur ; Le Sens du combat ; Renaissance ; La Possibilité d’une île. Une aspiration au bonheur de la part de Houellebecq qui n’est pas le trait de caractère le plus connu chez lui, admet l’auteur. Néanmoins, résolument ouvert vers l’extérieur, Houellebecq demeure cet écrivain en recherche d’un bonheur perdu, égaré, mais qui se niche décidément quelque part, malgré les déclarations fracassantes de ses débuts inspirées d’Arthur Schopenhauer : « N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pas », et une remarque page 113 venant annuler l’argument : « Croire que l’humanité soit, d’une quelconque manière, destinée au bonheur relève donc d’une dérisoire et fallacieuse illusion ».

 

Rendre compte du monde

 

Or, ce que veut par-dessus tout la littérature de Houellebecq, c’est de rendre compte du monde, qui est « une souffrance déployée ». Mais cette souffrance n’est ni métaphysique ni ontologique comme ça peut l’être pour le philosophe allemand pessimiste Schopenhauer par exemple, dont Houellebecq s’inspire dans depuis le commencement de sa vie littéraire ; il est essentiellement économique, politique et libéral. C’est la souffrance déployée des perdants dans une compétition narcissique et capitaliste pour obtenir de l’argent et du sexe.

Compétition, guerre de tous contre tous, « violence perpétuelle du marché », solitude, exacerbation et obsolescence du désir, dont le capitalisme libéral « planifie la démultiplication et l’exaspération […] pour en tirer un maximum de profits ».

Le projet de Houellebecq est alors ficelé dès le commencement de son œuvre, et bien résumé par Agathe Novak-Lechevalier : « Affronter la douleur, dévoiler la noirceur du monde, aller jusqu’au fond de la détresse et n’en rien éluder […] [Houellebecq] suggère la fin de toute consolation possible en montrant comment le monde contemporain en a sapé un à un les fondements anciens. »

Ce que montre la suite de l’essai de l’universitaire c’est que la littérature de Houellebecq est répétitive, limitée, propre à l’homme sans Dieu, s’épuisant dans une crise métaphysique et mystique qu’on appelle l’acédie, et que Saint-Jean de la Croix nomma « la nuit obscure ».

« À des degrés divers, tous les romans de Houellebecq, du premier au dernier, mettant en scène une tension vers la religion, l’espoir fait naître, et sa perpétuelle déception ». Or, cet épuisement vital, ce « cadavre vidé de la structure divine » qui se retourne sur lui-même est possible, car, tel que le montre Agathe Novak-Lechevalier, comme l’homme moderne, cartésien, matérialiste, Houellebecq s’obstine à opposer l’homme des villes à la nature, comme s’il était incapable, dans cet enfer urbain, de voir le divin en un arbre qui perce le macadam, un rayon de lumière qui troue les nuages gris qui viennent recouvrir son quotidien sale et triste. Le défaut de Houellebecq c’est de ne pas savoir faire triompher l’élan religieux, de se méfier du ciel, de céder trop facilement « aux impasses fondamentales de la modernité : la prise de conscience conjointe de la nécessité absolue de la religion en même temps que sa radicale impossibilité. » C’est donc les limites de cette œuvre, et c’est ce qui en fait une œuvre fascinante par ailleurs. Montrer avec une intelligence et une vérité toute confondante le vertige d’une civilisation qui vacille, car elle ne sait remplacer le vide laissé par un Dieu assassiné de ses mains, par autre chose qu’un Dieu de la mort. À la religion ancienne, rejetée par l’homme moderne, rien n’a pu suppléer ni la religion positiviste d’Auguste Comte, ni la science, ni la technique, ni l’économie, ni l’individualisme forcené, ni l’athéisme éclairé.

Il ne reste plus à Houellebecq de que produire une connaissance du monde pour produire une consolation. Bien maigre consolation. Elle sera celle des décadents ; celui d’un décadent dont la morale est la suivante, si bien montrée par Nietzsche dans le passage de son Ecce Homo intitulé « Pourquoi je suis si sage » : « Sans compter que je suis un décadent, je suis aussi le contraire d’un décadent. J’en ai fait la preuve, entre autres, en choisissant toujours, instinctivement, le remède approprié au mauvais état de ma santé ; alors que le décadent a toujours recours au remède qui lui est funeste. Dans ma totalité j’ai été bien portant ; dans le détail, en tant que cas spécial, j’ai été décadent. »

 

L’œuvre de Michel Houellebecq est une consolation pour tous et pour personne, dont la promesse formulée de trouver un monde meilleur s’épuise dans la certitude de ne jamais le trouver. Il demeure alors la littérature et la poésie, pour se garder vivant, dans sa soumission à l’idéal moderne de construire un monde sans Dieu, sans foi ; et dans une promesse de bonheur toujours insatisfaite et perpétuellement déçue. « C’est là, précisément, qu’est la consolation : non dans la restitution de ce que nous avons perdu, mais dans le dévoilement et l’ouverture d’une possibilité ».

 

Marc Alpozzo

 

Agathe Novak-Lechevalier, Houellebecq, l’art de la consolation, Stock, octobre 2018, 20 euros

 

(1) Citons tout de même Bernard Maris Houellebecq économiste, et Bruno Viard Houellebecq au laser, la faute à mai 68,

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