« Kaboul, rue des fleurs » d’Anne Amzallag

Anne Amzallag nous livre avec Kaboul, rue des fleurs une tranche de vie, la sienne, où durant l’année 2004 elle se rendit dans ce pays meurtri par la guerre qu’est l’Afghanistan. Cette destination n’étant en rien préméditée mais relevant du hasard, celui de commencer par la première lettre de l’alphabet et d’un site de rencontre qui l’amènera à sympathiser avec Warren, un anglais officiant à Kaboul pour une société internationale. N’ayant aucune attache tant professionnelle que sentimentale et cherchant à fuir, au moins un temps, l’aliénation de notre société occidentale, Anne accepte l’invitation du sujet de sa Majesté rongé par la solitude à le rejoindre dans la capitale afghane. Dans ce pays où tout est à reconstuire, elle va alors donner un sens à ce voyage. Munie de sa caméra et se travestissant en journaliste d’une chaîne française, la « french journalist documentary desarmement » va se mêler à la population locale ainsi qu’aux occidentaux qui comme elle se retrouvent dans cette contrée où demeurent encore les stigmates de plusieurs décennies de conflits.

Ce rôle qu’elle interprète avec brio l’amène alors à filmer le programme des Nations Unies appelé DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) où les moudjahidin déposent leurs armes en signe d’allégeance au processus de paix civile amorcé dans le pays. Tandis qu’elle devient témoin de son temps et actrice d’événements relevant de la grande histoire, Anne se retrouvera petit à petit au centre d’un puzzle amoureux. Malgré le contexte, elle n’en oublie pas pour autant ce qui meut les hommes : les sentiments. Femme qui voyage laisse aussi voyager son cœur… Qu’il s’agisse des afghans ou des occidentaux parfois piégés dans ce pays aux traditions plusieurs fois millénaires, elle vit son existence au gré des pulsions et amitiés qu’elle tisse, se frottant tant à la chair qu’à l’âme de ceux qui croisent sa route. Des champs de ruines et de cette hypothétique paix naîtront des idylles, des romances contrariées, des désillusions, des rancœurs.

A travers une galerie de personnages bien souvent masculins, le contexte géopolitique de l’Afghanistan devient jour après jour secondaire pour laisser place aux torsions existentielles et problématiques amoureuses. Anne Amzallag nous rappelant que malgré les soubresauts de l’histoire, le cœur des femmes et des hommes n’en oublie jamais pour autant de battre, et parfois à la chamade… De ce voyage en Asie centrale où rôde encore le spectre de l’invasion russe, de la guerre civile et des Talibans, Anne accouchera bien au final de ce fameux documentaire qu’elle prétendait réaliser pour la mystérieuse Channel 5.

 

Entretien

 

© Anne Caminade

 

Jean Royer écrivit que « Chaque voyage est le rêve d’une nouvelle naissance », cette citation pourrait-elle illustrer les raisons de votre venue en Afghanistan ?

Je suis d’accord avec cette idée, mais avec cette réserve cependant qu’il s’agit souvent d’une illusion.  C’est le rêve d’une nouvelle naissance, certainement, mais c’est l’illusion d’une nouvelle naissance. On ne devient pas quelqu’un d’autre, on ne renait pas, peut-être devient-on vraiment ce que on est… Quelle que soit l’idée qu’on émet sur les voyages, c’est souvent des clichés qu’on rencontre ! Pour ma part, ce voyage en Afghanistan était une envie de partir à l’aventure, de fuir un quotidien dans lequel je me sentais prisonnière, d’échapper à la monotonie… Et puis bien sûr, le pays m’attirait aussi beaucoup. Ce pays m’a séduite, par sa beauté, l’hospitalité de ses habitants, mais je suis quand même partie dans l’idée de faire un film, ce que, malgré mes doutes j’ai mené à bien et avec un intérêt constant pour le sujet.

 

Après quelques pages, le lecteur que je suis comprend petit à petit que le contexte politique de l’Afghanistan ne sera que peu abordé et demeurera en arrière-plan. Pourquoi ce choix alors que vous étiez aux premières loges d’événements cruciaux quant à la reconstruction du pays ?

Ce récit est tiré d’une correspondance avec un ami proche, lui écrire sur le contexte politique ne l’aurait pas forcément intéressé, de même que je ne me sentais pas particulièrement compétente pour ça. Il avait été le témoin de mon aventure, et était très curieux de savoir comment les choses se dérouleraient avec Warren, il m’encourageait à les lui raconter, car cela l’amusait comme la lecture d’un roman d’aventures. Et notre relation portait sur des choses plus intimes. Aussi, sans cet ami, je n’aurai jamais écrit ces lettres et donc ce récit n’aurait sans doute jamais vu le jour.

 Par ailleurs,  il me semblait que les choses étaient claires dès le début du livre. il n’était pas question pour moi de faire un traité de géopolitique ! Cependant, le contexte politique figure dans le film.  J’ai quand même fait ce film DDR, j’étais en immersion dans ce programme de désarmement,  j’ai passé des heures et des heures à suivre ce programme et dans différentes régions du pays. Le livre et le film sont deux faces contrastées d’une même réalité, à la fois intime et tournée vers les autres, vers la réalité extérieure.

Vous avez attendu de nombreuses années avant de publier ce récit. Comme s’est effectué votre travail d’archiviste « mémoriel » et quel en a été le processus de rédaction ?

J’ai ressorti ces lettres seulement ces dernières années, je les ai fait lire à mon compagnon écrivain, Henri Raczymow qui m’a encouragé à en faire un récit.

 

Vous occultez dans votre récit les années qui ont suivi votre départ d’Afghanistan. Est-ce volontaire ? Est-ce le matériau « existentiel » pour un second livre ?  

Le livre ne concerne que ces mois passés en Afghanistan. Bien des années plus tard, et d’ailleurs c’est ce qui conclut le récit, je suis retournée voir Warren en France, je sentais qu’il manquait un épilogue. Ces dernières années, j’ai tourné à Casablanca, j’ai envie d’en faire un livre, un aller-retour entre l’enfance et ce retour au pays natal, où j’ai filmé.

 

 

propos récueillis par Romain Grieco

Anne Amzallag, Kaboul, rue des fleurs, Editions Maurice Nadeau, mars 2018, 19 euros

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