« La Croisière Charnwood », quand la petite arnaque rencontre la Grande Histoire

Inséparables depuis le collège, Guy et Max vivent de petites escroqueries, et parfois mettent leurs charmes au service d’une dot à ravir ou d’un père à contraindre à verser une forte somme pour que la fille séduite et prête à se laisser épouser soit abandonnée sur l’heure. Ni morale ni scrupule, jusqu’à leur retour en Angleterre (pour éviter quelque procès…) où ils croisent la route de la belle miss Charnwood, dont Max va être sincèrement amoureux, et tous les plans tombent à l’eau. Ainsi s’ouvre La Croisière Charnwood de Robert Goddard, qui va emporter ces deux amis dans un périple pour le moins surprenant.

La Croisière Charnwood est une aventure policière, avec des meurtres, des secrets, des cachoteries, un peu de sexe, et des personnages mystérieux qui apparaissent régulièrement et semblent organiser la chute des deux amis dans un enfer qui mêle les complots et une machination internationale des plus incroyables. Car les personnages ne sont pas tout à fait ce qu’ils ont l’air d’être, chaque petit secret découvert dévoile un mystère plus grand encore, et la naïve jeune et belle héritière devient le centre d’un enjeu qui dépasse de loin la simple arnaque à la dot.

Le contraste entre les milieux modestes et la grande finance internationale fait basculer l’histoire et, petit à petit, une certaine morale s’impose aux personnages qui vont devoir devenir autre pour atteindre leur objectif : comprendre ! Nous sommes dans les années trente, et tout est encore fort imprégné des horreurs de la Première Guerre Mondiale, même si l’Histoire s’accélère en raison du Krach de 1929. La mère de la belle est morte dans le Lusitania, ce premier bateau transatlantique coulé par les Allemands en 1915… Mais cette guerre n’est pas qu’un décor, elle devient vite, pour ainsi dire, le sujet même du roman. Et ce qui commence par une croisière de retour au pays devient vite une traversée mémorielle, d’un navire l’autre…

Comme à son habitude, Robert Goddard joue sur la mémoire, les non-dits et les petits secrets pour tisser une histoire prenante et, pour le dire sobrement, incroyable. D’autant qu’il fixe son intrigue sur la grande Histoire, avec un soin du détail qui ne cesse d’étonner et d’emporter son lecteur. Son style très sobre et élégant emporte le lecteur avec grâce vers un dénouement étonnant. Loin des canons actuels du roman noir (plus c’est gore mieux c’est), c’est avec une rare élégance que Robert Goddard confirme la puissance de son talent.

Loïc Di Stefano

Robert Goddard, La Croisière Charnwood, traduit de l’anglais pas Marc Barbé, Sonatine, novembre 2018, 456 pages, 22 eur

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