« La Guerre au français » pamphlet de Marie-Hélène Verdier

Joachim (du Bellay) a des ennuis

Il est regrettable qu’un ouvrage qui prétend brandir l’étendard de la culture cite des vers de Virgile et de Hugo de façon approximative. Il est étrange que le même ouvrage, après avoir judicieusement démontré sur une quarantaine de pages l’absence totale de fondement linguistique sérieux dans l’emploi du -e comme marque de féminisation dans l’orthographe inclusive (auteure, proviseure), n’hésite pas à gratifier le lecteur d’un « jeter du leste ». Avec un -e. Évidemment, cette faute serait très drôle s’il s’agissait d’un jeu de mots, mais le contexte où elle apparaît incite à penser que cette hypothèse doit être écartée.

Bref, l’essai de Marie-Hélène Verdier intitulé La Guerre au français manque singulièrement de nuances. Même pour un pamphlet. Car c’en est un.

Au départ, tout pour nous plaire, puisque, comme nous l’avons dit, l’auteur s’en prend à cette aberration (dénoncée ailleurs dans Boojum) qu’est l’orthographe inclusive, en soulignant de façon très convaincante les contradictions internes du système qu’une telle innovation prétend imposer. Mais la charge, amusante au départ, devient peu à peu charge de la brigade lourde, tant elle s’étire et s’étale (plusieurs dizaines de pages, répétons-le…), et elle ne s’interrompt que pour laisser la place à d’autres charges, qui ne suscitent pas toutes notre approbation.

Il est vrai que le français craque en ce moment sur plusieurs fronts, et vouloir le défendre, sous l’invocation de du Bellay, est une entreprise on ne peut plus louable, mais l’auteur se met peu à peu à mitrailler dans tous les coins, sans craindre de provoquer des dommages collatéraux, ni même, comme on dit, de se tirer une balle dans le pied. C’est ainsi que nos cousins québécois sont plusieurs fois cités comme des références nonpareilles pour la défense du français, mais on omet ‒ diplomatiquement ? ‒ de signaler que c’est chez eux qu’ont été créé.e.s auteure, proviseure, docteure, j’enpasse-et-des-meilleures. Bien entendu, l’anglais, grand Satan au service du grand capital ‒ pardon, de la silver economy ‒, est présenté comme la source de tous les maux, et l’on refuse d’admettre cette évidence qui est que le globish a l’inappréciable mérite d’être un outil de communication international (primitif peut-être, mais souvent émouvant, quand par exemple nous voyons, à la sortie d’un match au Parc des Princes, des supporters allemands commander leur repas en anglais dans un restaurant chinois). Bien entendu, les élèves et les étudiants actuels, dans leur immense majorité, n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Nous sommes surpris que n’apparaisse pas dans ce catalogue le moine bourru pour expliquer pourquoi votre fille est muette.

Petit à petit finit par se dessiner la thèse fondamentale de l’ouvrage : il n’existe au monde qu’une seule langue claire et rigoureuse ‒ le français. Bien entendu, on convoque à la barre l’inévitable Rivarol, souverain garant de l’universalité de la langue française. Admirez, bonnes gens, l’équilibre parfait de la phrase française, avec son verbe au centre, son sujet à gauche et ses compléments à droite ! Ah ! nous ne sommes pas comme ces Allemands qui doivent patienter jusqu’à la fin de la proposition pour découvrir le verbe et savoir ce qui se passe…

Tant de mauvaise foi, venant d’un auteur qui a enseigné les Lettres classiques, autrement dit le latin et le grec (dont l’allemand reprend fidèlement les constructions) dans des lycées parisiens, dont « le fameux lycée Louis-le-Grand » (si, si, c’est sur la 4e de couv’), a de quoi laisser pantois.

Constater les fautes, c’est bien. Les dénoncer, c’est mieux encore. Mais il faudrait de temps à autre essayer d’en voir l’origine. Marie-Hélène Verdier s’offusque, et nous avec elle, de lire dans un très officiel rapport d’inspection l’expression « work in progress ». In ingliche in ze texte. C’est effectivement incongru. Mais c’est moins incongru lorsqu’on se demande comment une telle formule pourrait se traduire en français. De fait, elle n’a pas vraiment d’équivalent. Parce que le temps n’est plus où un Boileau pouvait écrire : « Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage. » Parce que l’idéologie française contemporaine semble avoir décidé de ne plus accorder la moindre valeur au travail, et donc au processus, à l’élaboration, à l’accouchement qu’il implique. Mais Molière nous expliquerait qu’il n’y a rien là que de très normal, puisque « les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris ».

FAL

Marie-Hélène Verdier, La Guerre au français, Les Éditions du Cerf, mars 2018, 144 pages, 12 euros

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