Le Bruit de la machine à écrire, pourquoi l’artiste Christa Winsloe a-t-elle été assassinée le 10 juin 1944 ?

Christa Winsloe, dramaturge, sculpteur, écrivain et martyre 

Née à Darmstadt en Allemagne, Christa Winsloe (1888-1944), écrivain et sculpteur germano-hongroise et la figure par excellence de la femme cultivée et libre. Elle est surtout connue pour être l’auteur de la pièce Jeunes femmes en uniforme, adaptée plusieurs fois au cinéma (dont une version en 1958 avec Romy Schneider). Figure emblématique des luttes LGBT, c’est avant tout un esprit élevé, artistique, libre, que respectèrent aussi bien André Gide que Thomas Mann. Elle meurt dans un petit bois à proximité de Cluny, dans des circonstances qui restent encore douloureuses…

De Cluny lui-même, c’est en entendant cette histoire de deux espionnes assassinées par la résistance en juin 1944 qu’Hervé Loiselet commence à enquêter, à dénicher des documents d’époque, des archives, assez pour se forger rapidement la conviction qu’elle n’était certainement pas coupable d’espionnage pour le compte de l’Allemagne comme on l’en accusait. Crime crapuleux maquillé en héroïsme ? Simple erreur ou crime crapuleux. 

 

 

24 février 1944 – 10 juin 1944 : la durée du drame 

Il ne faut pas longtemps pour que Christa et son amie soient suspectées. C’est comme ça dans les petites villes, il suffit dune étrangère, d’un accent… Sitôt installées à l’hôtel de Bourgogne, elles sont espionnées par de « bonnes gens »… On entendait jour et nuit une machine à écrire, car il n’y en avait qu’une alors les deux femmes se relayaient pour écrire leurs oeuvres, leurs mémoires, leurs impressions. En fallait-il plus pour qu’on soupçonne ces deux allemandes (l’accent hongrois et suisse sans doute ne chantait-il pas aux oreilles des villageois…) d’espionnage et qu’on veuille décharger sur elle toute la colère retenue depuis des années… 

Suissesse ? C’est l’Allemande, pareil dans la bêtise humaine à Marie-Antoinette. Le contexte ? « c’est la guerre, pire : c’est la libération » où les courageux de la dernière heure se lèvent vite pour finalement choisir leur camp. De simples « ragots campagnards » auront-ils suffit à condamner les deux femmes ? D’autant qu’elles vivaient ensemble, ce qui choquait la morale. Et Cluny à l’heure de la parution de cette enquête ne semble pas si heureuse qu’on déterre ce passé trouble. Comme s’il existait un secret enfoui de génération en génération.

 

 

L‘enquête alterne les moments de 1944, au moment du drame, et ceux de 1946, au moment du procès des quatre meurtriers (et les couleurs différentes sont là pour accentuer ces passage de l’une à l’autre époque). Peut-être un peu trop entrecoupée, l’histoire reste prenante et donne l’ensemble des éléments avec la plus grande neutralité possible afin d’exposer toutes les facettes et tous les points de vue. Les quatre accusés seront finalement acquittés… 

Le livre se termine par un vrai et copieux dossier documentaire, ainsi qu’un entretien très instructif avec deux spécialistes de Christa Winsloe et un autre avec une spécialiste de l’histoire locale. 

 

Le récit est très bien mené et, outre qu’il permet de redécouvrir cette grande figure de femme cultivée, Le Bruit de la machine à écrire espère étouffer un peu celui de la honte et du secret qui résonne encore à Cluny 70 ans après…

 

Loïc Di Stefano

Hervé Loiselet (scénario) et Benoît Blary (dessin), Le Bruit de la machine à écrire, pourquoi l’artiste Christa Winsloe a-t-elle été assassinée le 10 juin 1944 ?, Steinkis, avril 2018, 120 pages, 18 euros

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