Le modèle américain d’Hitler

James Q. Whitman est professeur de droit comparé à la Fondation Ford à la Yale Law School. C’est cette position de comparatiste qui lui permet d’avoir pu avoir un regard différent de celui des nombreux historiens qui se sont penchés sur cette question et qui ont écarté la possibilité d’une filiation entre le IIIe Reich et l’Amérique. Pourtant son analyse et la force des documents présentés ne cesse d’interroger, puis de convaincre, et son essai Le Modèle américain d’Hitler : comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis ne peut pas être ignoré comme élément essentiel du débat toujours vif sur le IIIe Reich..

 

Juifs vs Noirs

Avançant chaque élément avec une infinie prudence, quitte à se répéter à à encombrer un peu la lecture de formule d’auto-défense précautionneuse, Whitman bouleverse les codes établis et pose le parallèle entre le traitement américain des noirs et le traitement nazi des juifs. Bien sûr, jamais les Américains n’ont pensé mettre en place un nettoyage ethnique (même si l’on pourrait lire la conquête de l’ouest sous ce prisme…) mais qui pourrait prétendre que les noirs américains ont été traité avec bienveillance et équité ?

 

Aussi incroyable que cela puisse paraître, et cette étude le démontre, les lois raciales de Nuremberg sont directement inspirées par les lois ségrégationnistes américaines. Mieux : James Q. Whitman montre que les penseurs des lois raciales de Nuremberg sont des admirateurs du « modèle » américain

 

L’influence ne se fait pas seulement par l’emprunt littéral. Elle se fait par l’exemple et par l’inspiration, et les Etats-Unis ont été une source abondante d’exemple et d’inspiration pour les juristes nazis du début des années 1930, au moment de l’élaboration des lois de Nuremberg. »

 

L’Amérique, berceau du racisme ?

Si l’american way of life a su se déverser sur le monde occidental, le pire comme le meilleur ont été exportés. Et parfois les deux cohabitent. On sait que les grands jazzmen venaient à Paris pour respirer cette immense liberté qui n’était, chez eux, que réservés aux WASP. Un véritable « racisme d’Etat » survivait à tous les progressismes. C’est cette Amérique-là qui inspire le IIIe Reich. Car derrière le pays du libéralisme se cache, selon James Q. Whitman, le pays des lois raciales.

Cette source d’inspiration est même totalement assumée. Pour preuve, 45 juristes du Reich partent en Amérique peu de temps après la prise du pouvoir par Hitler. Une manière de voyage d’étude…

Il y a comme socle les travaux du juriste allemand Heinrich Krieger, qui transposa les lois raciales américaines dans le modèle nazi. Il passa un an en Amérique, dans le cadre d’un échange universitaire en 1934. Il écrira d’ailleurs un ouvrage de référence en 1936, La Législation raciale aux Etats-Unis (Das Rassenrecht in den Vereingten Staaten). En 1934, encore, une conférence se tint pour élaborer une législation raciale. Car, autre point commun, voir point commun essentiel entre ces deux visions du monde par ailleurs diamétralement opposées (si ce n’est qu’elles se veulent toute les deux hégémoniques…), la notion de race est un fait d’abord politique, une construction, un outil.

 

Toujours prudent, malgré l’énormité des matériaux scientifiques qu’il expose, James Q. Whitman note que l’Amérique est sans doute la première puissance mondiale a avoir ainsi « exporté » un modèle raciale politique aussi puissant, aussi structuré, et aussi inspirant.

Le Modèle américain d’Hitler : comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, aussi dérangeant qu’il soit, impose également un débat essentiel sur la face des institutions démocratiques et la capacité de transgresser l’élan initial pour le pervertir et instaurer une différence entre les citoyens, basés sur un critère raciale créé de toute pièce.

Le Modèle américain d’Hitler fera incontestablement date.

 

Loïc Di Stefano

James Q. Whitman, Le Modèle américain d’Hitler : comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, préface de Johann Chapoutot, traduit de l’angalis par Christophe Jaquet, Armand Colin, février 2018, 282 pages, 22,90 euros

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