« Le plus et le moins » d’Erri De Luca

Fragmenter sa vie, l’éparpiller en petits morceaux, la disséminer au vent et coucher sur le papier des séquences de son existence… C’est ce à quoi s’emploi Erri De Luca dans Le Plus et le moins, recueil de 37 récits ou réflexions se terminant par trois poèmes. Sans linéarité chronologique, ce livre est l’occasion pour l’écrivain napolitain de revisiter son parcours d’homme en le segmentant par périodes ; de ses jeunes années à l’effervescence des années soixante portées par son engagement politique au long chemin qui le mènera un jour au métier d’écrivain, Erri de Luca puise dans le matériau qu’est sa mémoire.

On y trouvera donc des récits où les figures maternelles que sont sa mère tout autant que sa ville natale, la mythique Naples, sont omniprésentes et ont contribué à façonner son identité. Cette quête identitaire qui l’amènera un jour à modifier son prénom et trouver sa voie dans ce dédale de choix qu’est l’existence. De ses jeunes années faites d’insouciance viendront un jour le convoquer la poésie, l’engagement politique, l’errance, les voyages et la littérature. Outre les pérégrinations temporelles, l’auteur nous transportera dans différents lieux marquants de son existence dont il s’essaie à faire l’inventaire… Des ruelles de Naples à l’île d’Ischia, de la Rome de ses jeunes années militantes rythmées par Dylan et Kerouac à Paris alors qu’il était encore un inconnu travaillant dans les chantiers, du silence mortifère d’une Belgrade en ruines au vacarme des usines, plus que des lieux ce sont pour De Luca des matières à réflexion qu’il livre au lecteur…

A travers son itinéraire c’est aussi l’occasion pour l’auteur napolitain de traiter de ses passions, qu’il s’agisse de l’alpinisme qui l’amènera parfois à risquer sa vie, des femmes qu’il évoque dans la nouvelle Un premier baiser, de la lecture de la Bible qui illuminera sa route lors des épreuves qu’il aura à surmonter, de l’écriture qui le fera un jour quitter sa tenue d’ouvrier « vagabond » pour celui d’homme de lettres reconnu et couronné de prix. On prend alors une nouvelle fois la pleine mesure de la singularité de cet écrivain et poète de combats, car s’il est homme de plume il est aussi un homme « du réel » ; anarchiste et militant de la cause ouvrière, engagé dans des missions humanitaires qu’il évoque sans se répandre, bien que devenu un notable de la littérature De Luca reste fidèle à ses engagements politiques premiers et à ses aspirations christiques syncrétiques.  Enfin, à l’heure où la notion de cellule familiale est remise en cause, l’auteur nous rappelle l’importance des liens du sang, en particulier lorsqu’il évoque son père, grand collectionneur de livres, qui l’éveilla dès son plus jeune âge à la littérature et à qui il rend hommage.

Le Plus et le moins est donc une belle introduction à découvrir l’œuvre d’un homme qui dit « bénir la chance d’écrire des histoires ». Ce court livre initiatique, synthétisant la dimension spirituelle de cet homme devenu écrivain sur le tard, est donc à conseiller à tous ceux s’interrogeant sur le sens qu’ils souhaitent donner à leur existence ou s’essayant au difficile exercice d’en faire l’inventaire…

 

Romain Grieco  

 

Erri De Luca, Le Plus et le moins, traduit de l’italien par Danièle Valin, Gallimard,  « folio », mai 2018, 208 pages, 7,25 euros

Le Plus et le moins a reçu le prix du livre européen en 2016

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