Dans l’épaisseur de la chair, voyage intérieur de Blas de Roblès

Archéologue, poète, essayiste et romancier, Jean-Marie Blas de Roblès est notamment l’auteur du magnifique et très vernien Île du point Némo (2014) et de Là où les tigres sont chez eux (Prix Médicis 2008). Son oeuvre est marquée par une qualité d’écriture fluide alliée à une imagination aventureuse.

 

Tu seras un homme, mon fils

Humiliation par les mots de son père âgé de 93 ans, « Toi, de toute façon, tu n’as jamais été un vrai pied-noir ! », le narrateur prend la mer et s’en va pêcher, à 5 heures du matin. Il tombe à l’eau et ne parvient pas à remonter sur son bateau. Et au lieu de penser à sa vie qui s’en va lentement, c’est celle de son père, Manuel Cortès, ainsi que ses ancêtres, qui refait surface. Comme si, au moment peut-être de mourir, la conscience revenait au fils de ses racines, de ses dettes, et de son amour pour son père, un peu « oublié » dans la colère et l’éloignement.

De l’arrivée des premiers émigrés espagnols en Algérie jusqu’au rapatriement en France, Dans l’épaisseur de la chair est aussi l’histoire d’un peuple sans cesse mis en mouvement. D’un peuple balayé par les conflits et les haines et toujours coincé au milieu, plus algérien et pas tout à fait français…

Toute le récit est nourri par le questionnement métaphysique autour du « vrai », car il pourrait y en avoir de faux ? A cela s’ajoute une longue interrogation sur la « question juive », et des rapprochements peu anodins entre le traitement des juifs sous Vichy et celui des pieds-noirs d’un bout à l’autre de leur histoire. Comme une histoire de France à travers le prisme d’un de ses « peuples » les plus maltraités.

Sans jamais rien céder aux exigences du romanesque débridé qui est sa signature, Jean-Marie Blas de Roblès réussit à faire un roman à la fois universel et intime. Un roman sur l’expatriation et les obligations de changer de vie pour continuer de vivre, d’être toujours un étranger quelques soient les services rendus à la Patrie qui, en fin de compte, ne veut pas de vous. Être pied-noir, c’est porter avec soi son identité et avoir la double histoire de deux pays aux relations conflictuelles. Être pied-noir, est-ce être un bon plutôt qu’un mauvais pied-noir ? ou bien ne peut-il y en avoir que des vrais ?

Véritable hommage à la figure paternelle, aussi bien celui du narrateur que celui de l’auteur, source d’inspiration et de « documentation » pour le personnage. Ses combats, ses amours, ses déménagements, ses petites lâchetés (il a assisté au massacre de Sétif), ses sacrifices, tout ce qui a fait de lui un homme et qui fait la fierté de son fils-auteur est transfiguré en tout ce qui a fait de lui un homme et qui fait la fierté de son fils-narrateur.

 

Beaucoup plus intimiste tout en restant aussi puissamment romanesque, camusien par beaucoup de points, Jean-Marie Blas de Roblès signe avec Dans l’épaisseur de la chair un grand roman de l’homme.

 

Loïc Di Stefano

Jean-Marie Blas de Roblès, Dans l’épaisseur de la chair, Editions Zulma, août 2017, 384 pages, 20 euros

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