« Les Gladiateurs » le péplum de Delmer Daves réédité en Blu-ray

L’art Mature

Sortie en Blu-ray des Gladiateurs, péplum réalisé par Delmer Daves en 1953 et interprété par Victor Mature. Un peu désinvolte avec la vérité historique, certes, mais très représentatif de tout un pan du cinéma américain « à grand spectacle » du début des années cinquante. 

Le péplum est un genre aussi vieux que le cinéma lui-même : le réalisateur Georges Hatot proposait dès 1896 un Néron essayant des poisons sur un esclave et, deux ans plus tard, Méliès, qui n’avait pas tardé à comprendre tout ce qu’on pouvait tirer de ce qui ne s’appelait pas encore « effets spéciaux », offrait au public un Christ marchant sur les eaux. 

L’histoire du péplum épouse donc l’histoire du cinéma en général et n’est pas près de s’achever ‒ l’un de ses derniers avatars, Tian jiang xiong shi, alias Dragon Blade, réalisé par Daniel Lee, sur une rencontre en partie authentique entre des soldats romains et des soldats chinois, date d’il y a trois ans à peine. Mais, évidemment, certaines périodes ont été nettement plus fastes que d’autres. En 1949, le succès du Samson et Dalila de Cecil B. DeMille fit rapidement des émules : David et Bethsabée, Salomon et la Reine de Saba ou encore, en 1959, l’immortel Ben-Hur. Mais on peut trouver pour cet âge d’or d’autres causes que la volonté mercantile d’exploiter un « filon ». La première explication est d’ordre moral : tous ces épisodes bibliques portés à l’écran pouvaient être vus comme des métaphores de la guerre de 39-45 et des ravages de toute sorte qu’elle avait entraînés, encore présents dans les esprits et dans les corps. L’autre a trait à la technologie : au début des années cinquante débarque sur les écrans le procédé du CinemaScope, qui, en élargissant le champ de vision, se prête à merveille à la mise en scène de « spectaculars ».

Le premier film en CinemaScope de l’histoire du cinéma est, en 1953, The Robe, en français La Tunique, d’Henry Koster, avec Richard Burton et Victor Mature, dont les yeux de chien battu annonçaient curieusement ceux de Stallone trois décennies plus tard. La tunique en question n’est autre que celle du Christ (1) et l’intrigue s’attache au tribun romain dirigeant l’unité responsable de la mise à mort de Jésus. La garantie du succès de l’entreprise est telle que sa suite est tournée en même temps. Réalisée par Delmer Daves (l’homme de La Flèche brisée) et distribuée l’année suivante, elle a pour héros Victor Mature, esclave dans La Tunique, mais désormais affranchi, et s’intitule Demetrius and the Gladiators. Le titre français, Les Gladiateurs, est évidemment plus simple, mais l’omission du nom Demetrius est regrettable, dans la mesure où ce Demetrius est un gladiateur qui refuse d’être gladiateur.

 

 

Par peur ? Parce qu’il n’a pas les capacités physiques requises pour combattre dans l’arène du cirque ? Non : il a le courage et les muscles de l’emploi, mais il a aussi une foi qui lui interdit de faire couler le sang des autres. Demetrius est chrétien. Évidemment, le psychopathe Caligula (interprété par le sublimement grotesque Jay Robinson), qui hantait déjà La Tunique, ne l’entend pas de cette oreille : tous ces chrétiens, ces Gandhi avant la lettre, doivent bien comprendre que le seul dieu auquel ils doivent obéir n’est autre que lui-même…

Sur cette base, les scénaristes ‒ un quatuor mené par Philip Dunne, à qui l’on doit entre autres L’Aventure de Mme Muir ‒ construisent une intrigue en trois actes, sur le modèle standard Boy meets girl ‒ Boy loses girl ‒ Boy meets girl again. À une nuance près : s’il y a bien plusieurs jeunes femmes dans l’histoire, c’est Dieu qui, en l’occurrence, est perdu et retrouvé. Se croyant abandonné du Seigneur, Demetrius, fou de rage et de désespoir, se jette un temps dans les débauches propres aux païens romains ‒ Messaline est dans les parages pour lui faciliter la tâche (la tache ?) ‒, mais il finira par comprendre, sous la conduite de l’apôtre Pierre, que les choses ne sont pas forcément ce qu’elles semblent être et que Dieu écrit droit avec des lignes courbes. Où il est prouvé que, comme son nom l’indique, Caligula (en latin, « la Sandalette ») n’est qu’une petite pointure.

 

Ernst Borgnine

 

Trois bonus réalisés aux rencontres d’Arles ‒ manifestation où le public peut, entre autres, assister à des reconstitutions de combats de gladiateurs ‒ viennent compléter cette fable édifiante… et tous les trois en dénoncent les nombreuses incohérences. Michel Eloy, dont les connaissances historiques et péploïdales sont plus vertigineuses encore que son uniforme de warrior ‒ pardon, de centurion, explique en souriant que le christianisme était encore une chose bien trop confidentielle sous Caligula pour que celui-ci s’en prenne aux chrétiens et que Néron lui aussi, contrairement à ce qu’on raconte, avait d’autres chats à fouetter. Que les gladiateurs coûtaient bien trop cher à leur propriétaire pour que celui-ci s’offre le luxe de les laisser se trucider dans l’arène (on le faisait au 1er siècle avant J.-C., lorsque les gladiateurs étaient encore de vils prisonniers de guerre, mais non au 1er siècle après, le métier s’étant fonctionnarisé sur la base du volontariat). Et que le casque de gladiateur de Victor Mature est à peu près aussi authentique que pourrait l’être un sabre laser dans la main d’un soldat de Napoléon. Les interprètes des reconstitutions d’Arles n’ont pas autant d’humour que Michel Eloy, mais vont dans le même sens et expliquent, gestes à l’appui, que même quand les armes sont conformes à la vérité, elles ne sont pas tenues et maniées comme il faudrait par les gladiateurs du film (2).

 

Victor Mature et Susan Hayward

 

Malgré toutes ces réserves, on ne saurait nier le plaisir qu’on prend à découvrir ou à redécouvrir ces Gladiateurs. Si l’on ne frémit pas vraiment lorsque Demetrius doit affronter un fauve ‒ sa foi chrétienne ne lui interdit pas, heureusement, de tuer des animaux (même si l’on croit bien deviner parfois un homme sous un costume de fauve…) ‒, on n’en ressent pas moins l’émerveillement que les enfants éprouvent en voyant le dompteur dans la cage aux lions. Bande dessinée peut-être, mais faussement naïve, un brin vicieuse, comme on l’a dit, dans son deuxième acte, et surtout, réalisée d’un bout à l’autre avec un soin incontestable dans ses outrances mêmes. Et avec ce thème de la rédemption qui fait tant rire les Français, mais qui est au cœur de l’âme américaine. Ceux qui ont aimé le Gladiator de Ridley Scott ne peuvent pas ne pas aimer ces Gladiateurs de Delmer Daves.

 

FAL

(1) Signe divin ? L’inventeur du procédé du CinemaScope, un Français, se nommait Henri Chrétien.

(2) Rappelons que pour ajouter au piment du spectacle, on faisait s’affronter des gladiateurs munis d’armes différentes. On distinguait de ce fait plusieurs armaturae (catégories de combattants).

 

Les Gladiateurs (Demetrius and the Gladiators), 1954

Réalisation : Delmer Daves

Scénario : Philip Dunne, d’après des personnages créés par Lloyd C. Douglas (roman La Tunique édité chez J’Ai Lu en 1963, mais désormais épuisé ; en revanche, le texte anglais original est aisément accessible : version Kindle sur amazon.co.uk) 

Avec Victor Mature, Susan Hayward, Michael Rennie, Debra Paget, Anne Bancroft, Ernest Borgnine.

Bonus, réalisés par Linda Tahir et Christophe Champclaux : « Gladiateurs, mythes et réalités » (52′) ; et, sur le B-r uniquement, deux interviews de Michel Eloy, historien du cinéma ‒ « Les gladiateurs » (15′) et « Caligula et les chrétiens » (9’30”). 

Rimini Editions, mars 2018. B-r (19,99 euros) et dvd (14,99 euros).

 

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