« L’Eternité n’est pas pour nous », rural trash de Patrick Delperdange

Du roman jeunesse au roman noir

Patrick Delperdange a longtemps été connu pour ses romans jeunesse, par exemple pour la trilogie de L’Œil du milieu par chez Nathan. Il a commencé à publier des romans noirs chez Actes Sud avec Coup de froid et a surtout frappé un grand coup avec Si tous les dieux nous abandonnent à la Série noire en 2016. Le ton du roman, sa structure avait plu à l’époque. Le voici de retour dans la collection Equinox d’Aurélien Masson (qui l’avait déjà publié chez Gallimard) avec L’Eternité n’est pas pour nous.

Crimes en province

Lila est ce qu’on appelle une travailleuse du sexe, plus communément une pute. Elle attend ses clients potentiels sur une route près d’une carrière. Pour la plupart, ce sont des africains, exploités par leur patron :

Ils ont l’habitude de passer à deux ou trois dans leur voiture et il arrive qu’ils s’arrêtent et descendent pour lui parler, même si Lila sait bien que ça ne veut pas dire qu’ils ont l’intention de consommer. D’autant qu’elle n’a jamais accepté de prendre plusieurs clients en même temps, malgré ce que certains auraient bien aimé faire, pour imiter les films qu’ils regardent dans les baraquements qu’on leur a attribué, juste derrière la décharge. »

C’est la fin de la journée, Lila n’a pas eu de client et s’apprête à rentrer chez elle lorsque débarque dans une BMW noire le fils SaintAndré et ses copains. Rejeton de la plus importante famille du bled, SaintAndré est venu pour coucher avec elle. Sauf qu’elle refuse : il essaie alors de la violer. Après s’être battue, Lila réussit à lui échapper. Rentrée, elle retrouve sa fille Cassandre, une ado mal embouchée et en pleine rébellion. Ça tombe mal car le fils SaintAndré débarque et enlève la petite, malgré l’intervention du voisin, Mousse. Ce dernier emmène Lila voir la mère du ravisseur, au cas où elle saurait où est son fils. Lila ne récolte que des coups du gardien, arrêté par Mousse qui le descend.

Non loin de là, il y a Sam et Danny. Danny était en foyer mais s’est évadé après une histoire glauque, aidé par son frère manchot. Leur route va croiser celle de Lila pour une nuit qui promet d’être bien sanglante.

Un polar bien senti

L’Eternité n’est pas pour nous plaît par son décor : la France profonde, rurale, loin de Paris et de sa banlieue, peuplé de gens peu recommandables. On pense au Chanteur de Gospel et aux romans d’Harry Crews pour l’ambiance et la peinture de ces personnages un peu trash, véritables éclopés de la vie. Et puis ce livre en évoque d’autres, parus dans les années 70 à la Série noire : ceux de Pierre Siniac, d’ADG. Rien que pour cette plongée en nostalgie, le roman de Patrick Delperdange vaut le coup. Mais cette ambiance poisseuse, celle des nuits humides de printemps où tout peut arriver (surtout le pire) rend précieux ce roman.

On en souhaite d’autres du même acabit.

Sylvain Bonnet

Patrick Delperdange, L’Eternité n’est pas pour nous, Les arènes, « Equinox », octobre 2018, 254 pages, 15 eur

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