« L’hiver du mécontentement » de Thomas B. Reverdy

Etrange de lire un roman se déroulant pendant l’hiver 1978-1979 à Londres et qui s semble, pourtant, ne parler que de notre époque faite de luttes sociales et d’espoirs oppressés. L’Hiver du mécontentement de Thomas B. Reverdy réussit un roman à strates : entre théâtre, thatchérisme et rock’n’roll !

 

Richard III

La pièce de Shakespeare Richard III sert de point focal à Thomas B. Reverdy pour faire vivre et évoluer son personnage, qui a comme objectif de réussir à intégrer la troupe qui va le jouer. Frivolité dans un monde en colère ? Shakespeare, le maître de la tragédie, fait dire dans sa pièce : « Maintenant que l’hiver de notre mécontentement /  s’est changé en été glorieux […] », et Thomas B. Reverdy transpose cet espoir dans le corps de Candice, comme une respiration de lumière en pleine nuit. Elle remplit consciencieusement son petit carnet, se pose des questions sur le texte, la dramaturgie, tente de comprendre la pièce… Mais bien sûr, Candice est candide, et l’auteur joue sur cette sonorité pour faire contrepoids au trop grand espoir qui naîtrait au lecteur, à regarder Candice déambuler en vélo dans un Londres qui ne serait qu’un autre décor, car la vérité est pesante et avant tout politique.

 

Il y a toujours un mélange ambigu de peur aide joie au spectacle du chaos. D’abord la peur. Il n’y a pas de joie s’il n’y a pas d’abord la peur. La radio et la télévision montent la sauce, on ne parle plus que de ça. Ce serait facile de penser qu’on n’est plus tout à fait en sécurité, qu’on va encore payer les pots cassés de tout ce bordel dans la rue — ce sont les mots qu’on emploie —, de toute cette agitation. »

 

un climat politique irrespirable

La très conservatrice Margaret Thatcher (1925-2013) accède au pouvoir dans une très forte période de troubles, en mai 1979, sur la promesse (qui sera tenue, mais dans la douleur) de sortir le pays de la crise économique majeure qu’il traverse. Le journal The Sun qualifia cette période de blocage majeur « d’hiver du mécontentement » (winter of discontent), l’une des périodes les plus dures pour la population. Les grèves infinies, un gouvernement intransigeant, une population ouvrière brisée, un climat délétère généralisé, un Londres transformé en immense déchèterie, des répressions policières… Voici le décor sur lequel s’agite quelques personnages, vers un destin qu’il faudrait espérer heureux malgré tout. Ce malgré est d’importance, il délimite la vie possible comme échappatoire vers quelque chose de supérieur, sans quoi il n’y a pas de vie, mais une survie animale et mécanique. C’est l’art, ici le théâtre (et par extension la littérature) qui est cette possibilité de rédemption, comme si la quête personnelle de Candice (comprendre le personnage Richard III) pouvait aussi être une lecture d’une époque.

 

Parce que son personnage principal est une candide traversant une période de crise tout en ayant l’air d’être à côté, il permet à Thomas B. Reverdy de peindre une époque, aussi bien par les images que la musique — la bande son est omniprésente, chaque chapitre s’ouvre par un titre emblématique de la période avec des groupes comme The Clash, Joy Division, Siouxsie and the banshees... Cette pesanteur moite de la réalité ne se sublime, paradoxalement, que par la légèreté et la grâce inutile, au sens premier du terme, de Candice. Thomas B. Reverdy fait sienne la belle leçon de Milan Kundera dans son Insoutenable légèreté de l’être qu’il faut équilibrer les valeurs pour atteindre une certaine vérité, et que ne se tolère comme beau qu’un peu de légèreté dans l’insoutenable pesanteur du monde tel qu’il est. Quant à comprendre qu’il donne peut-être aussi une image spéculaire de notre temps, dans lequel il nous invite à chercher — ou inventer — la grâce absente a priori, c’est que la littérature n’est pas un vain exercice…

 

 

Loïc Di Stefano

 

Thomas B. Reverdy, L’Hiver du mécontentement, Flammarion, août 2018, 224 pages, 18 euros

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