Madame du Deffand et son monde, une apogée de la culture française

Une intellectuelle transalpine

 

Benedetta Craveri est à l’origine professeur de littérature française dans une université de Naples. Les lecteurs français des années 2010 la connaissent grâce à son ouvrage Les Derniers libertins, paru chez Flammarion en 2016 et qui a obtenu le prix littéraire ANF 2017. Cet ouvrage donnait l’occasion de découvrir des personnages méconnus comme Narbonne (ministre de la guerre de Louis XVI), Lauzun (futur général de la République, décapité) et aussi de voir Talleyrand dans sa prime jeunesse. Benedetta Craveri s’était cependant fait connaître en 1982 avec une biographie, Madame du Deffand et son monde, que Flammarion propose aux lecteurs français.

 

Libertine et épistolière

 

A l’issue de cette biographie, on peut s’exclamer : quelle vie fut celle de madame du Deffand ! née en 1696, Marie de Vichy-Champrond est élevée au couvent avant d’épouser le marquis du Deffand, un riche aristocrate, en 1718. Le mariage n’est pas heureux, la jeune fille préférant les plaisirs de la vie parisienne. Elle devient une habituée des soirées du Régent Philippe d’Orléans dont elle est la maîtresse (parmi d’autres). Mais cette dame a de l’esprit, de l’intelligence : elle survit à la Régence, devient la maîtresse d’un riche parlementaire, le président Hénault et tient salon. Elle se lie aux philosophes : Voltaire et D’Alembert surtout. Ce dernier se révèle d’ailleurs plutôt infect au fil des pages de cette biographie…

Madame du Deffand est pleine des paradoxes : amie des philosophes mais rétive aux Lumières car trop attaché au Grand siècle, celui de Louis XIV et de Racine, de Corneille et La Rochefoucauld, de mesdames de Sévigné et La Fayette…

 

Le style

 

Pourquoi s’intéresser à la vie d’une « salonnarde » du XVIIIe siècle ? Avec moult détails, Benedetta Craveri décrit madame du Deffand comme une artiste de la conversation, cet art si raffiné, si français et si difficile à expliquer en 2018. Il s’agit ici d’avoir toujours de « l’esprit », de ne jamais ennuyer l’autre. Et aussi de parler et écrire un français dit « classique » dont le charme enchante encore aujourd’hui le lecteur blasé. Exemple dans une lettre à Voltaire au sujet de la mort :

 

Je trouve que la manière dont on meurt ne prouve pas grand-chose, et ne peut être une curiosité ni pour, ni contre ; un tour d’imagination en décide et bien sot est celui qui se contraint dans ces derniers moments. »

 

Magnifique formulation qui résume une femme complexe, cultivée, qui tomba dans sa vieillesse folle amoureuse d’un jeune anglais, Horace Walpole.

 

Il nous reste de madame du Deffand des lettres, quelques portraits dont le style, mon dieu, quel style, secoue. On devrait introduire des extraits de madame du Deffand au programme du bac de français mais voilà : le monde moderne, rapide, n’aime pas l’esprit. Soit. On peut aussi entrer en résistance « spirituelle, lire cette biographie et la correspondance de madame du Deffand. Lecteur, tu ne sais pas le plaisir qui t’attend…

 

Sylvain Bonnet

 

Benedetta Craveri, Madame du Deffand et son monde, traduit de l’italien par Sibylle Zavriew, préface de Marc Fumaroli, Flammarion « au fil de l’Histoire », novembre 2017, 670 pages, 26 euros

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