« Mourir n’est pas de mise », Jacques Brel aux Marquises

Quarante ans après sa mort, la figure de Jacques Brel (1929-1978) impressionne encore. Celui qui mit brutalement fin à sa carrière de chanteur et d’acteur, au firmament, prit la mer comme un survivant et fit des îles Marquises le territoire de sa renaissance. C’est ce parcours que retrace David Hennebelle dans son premier roman, Mourir n’est pas de mise, dont le titre emprunte bien sûr à la chanson de Brel.

 

Au soir du dernier concert, la page est tournée, comme un immense soulagement. Brel va pouvoir devenir cet inconnu qui barrera son voilier, l’Askoy, sera un parmi les vivants, devra montrer sa carte d’identité au postier pour prouver qu’il est bien lui et récupérer son colis. Bien sûr, sa renommée est internationale et il fera quelques interventions, à l’école notamment pour faire plaisir aux religieuses, mais le plus clair de sa vie sera consacrée ses passions : sa femme (Maddly Bam, Claudette et actrice), le pilotage (il deviendra transporteur bénévole pour ses voisins), et la cuisine (sa grande passion de toujours, encore un lien avec Lino Ventura).

Et Brel continuera d’écrire et de composer, un dernier album, Les Marquises, qui sera sans doute le plus grand événement de l’année 1977, au point que Barclay met en place une opération marketing rare (disques livrés en containers scellés, protégés par des cadenas dont le code ne sera révélé qu’à la dernière minute, etc.) pour livrer le million de pré-commande. Brel en sera mécontent, mais sa vie maintenant qu’il a donné son œuvre pourra toute entière se consacrer au bonheur des îles. Car il trouve aux Marquises cette plénitude, ce bonheur de vivre, qui lui a toujours manqué, malgré la gloire, malgré les amitiés…

 

[s’installer aux Marquises] était peut-être le choix le plus important de toute sa vie. Comme tout ce qui existait autour, il pensa que lui aussi pourrait devenir vrai. »

 

Seule la maladie viendra interrompre ses projets, construire une grande maison pour recevoir ses amis de manière digne, et peut-être aussi un aérodrome pour apprendre à piloter aux polynésiens. Il devra revenir tous les six mois en métropoles, puis aussi pour de tristes nouvelles (la mort de son camarade de toujours et chauffeur Jojo), puis pour un dernier voyage, emporté par un cancer du poumon. Il sera inhumé non loin de Paul Gauguin, le premier des exotes (avec Victor Segalen sur ses traces), à Hiva Oa, aux Marquises, où il repose apaisé enfin.

 

Mourir n’est pas de mise est le roman d’une quête de soi, d’un nouvel apprentissage de la vie simple et du pur plaisir de n’être personne. Non pas oublier ce qu’on a été ni passer incognito, mais, viscéralement, changer de vie et recommencer. L’écriture est simple, apparemment lisse, mais pas sans cette belle épaisseur des récits dont on connait tout et qui nous dévoilent encore quelque chose, ce complément d’humanité que certains, rares, possèdent.

 

Loïc Di Stefano

 

David Hennebelle, Mourir n’est pas de mise, autrement, août 2018, 128 pages, 15 euros

 

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