Patti Smith en dix-huit stations

Après le livre culte, probablement son chef-d’œuvre, Just Kids, l’icône du rock Patti Smith nous revient avec longue méditation mélancolique et poétique en dix-huit stations de métro, ayant récemment obtenu le Grand prix héroïne Madame Figaro.

 

Pour ceux qui ont attentivement lu son précédent opus Just Kids, il n’aura échappé à personne qu’avant d’être cette rock star planétaire malgré elle Patti Smith était avant tout un écrivain et un poète. C’est ce qu’elle nous a prouvé avec son précédent livre, monument autobiographique retraçant d’abord dans le New Jersey, puis New York, des années perdues, envolées, les années 1970, et racontant son premier amour avec le photographe et plasticien Robert Mapplethorpe, mort trop jeune en 1989, à l’âge de 42 ans. Première balade new yorkaise, retraçant les années d’avant la célébrité. Vient ensuite, ce second livre, plus méditatif, plus intimiste, qui révèle une âme mélancolique et sensible, vieillissante aussi, une autobiographie spirituelle et sentimentale.

 

C’est donc dans le M Train que l’auteur nous emmène cette fois. Le M train, faut-il y voir un signe, un clin d’œil, un symbole ? Forcément… Pour l’anecdote, le M Train à New York est une ligne de métro qui, formant une demi-boucle, ne revient jamais au même point de départ. Allégorie de la vie ? Sentiment de regarder dans le rétroviseur ? « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien ». Ainsi débute les premières pages de ce voyage en métro. Comme si le passé prenait une telle place dans la vie de Patti Smith que le présent, fait de petits riens et de minuscules anecdotes n’était rien en comparaison.

 

Aujourd’hui, la vie de Patti Smith ressemble à celle de n’importe qui. Elle vit dans son appartement de Greenwich Village avec ses chats, passe ses journées habituellement dans un café, le Café’ Ino, sans aucun emploi du temps fixe, porte un manteau noir de manière régulière, et se passionne pour les séries télé policières à la télévision. C’est à partir de cette vie banale et routière pourtant que l’icône du rock va élaborer ce livre, commençant à griffonner quelques phrases sur un cahier, comme un défi, un défi que Patti relève à la suite d’un rêve dans lequel elle entend un cowboy lui dire qu’il n’est pas facile d’écrire sur rien.

 

Pourtant, dès les premières lignes, et l’annonce faite par son serveur habituel, que ce dernier s’apprête à partir ouvrir un café de plage sur la promenade de Rockaway beach, la plume de Patti Smith s’emballe, se remémorant l’époque où, elle aussi, rêvait d’ouvrir un café ; peu à peu les années défilent. Et l’écrivain de dessiner progressivement la « carte de (son) existence ». En dix-huit stations, la voilà qui nous entraîne dans un voyage mélancolique et poétique, où se mêlent les cafés, les autres lieux visités du globe. On visite les tombes aussi ; celles de Jean Genet, Arthur Rimbaud, Yukio Mishima, Sylvia Plath, Ryūnosuke Akutagawa. On croise la chaise de Roberto Bolaño, sur laquelle l’auteur s’est assise, « à l’occasion de la visite de sa maison familiale » pensant peut-être qu’elle deviendrait meilleur écrivain en s’asseyant dessus. Le chapeau de paille de Robert Graves, la machine à écrire de Herman Hesse, li lit de Keats, la canne de Virginia Woolf, que l’auteur a photographié après avoir traverser la mer dans le « seul but de (les) posséder dans le cadre d’une image unique ». On croise encore Murakami, Blake, Sebald, Burroughs.

 

Patti Smith est portée par ses lectures. Celles de 2066, de Le Maître et Marguerite, Chroniques de l’oiseau à ressort. Les chefs-d’œuvre se succèdent, la vie avance. Ce M Train finalement symbolise le temps qui passe, la vie qui s’étiole, les années qui s’envolent, les gens qui disparaissent, qui nous laissent derrière eux. Patti Smith tente bien de fixer le temps, dans la photographie, ces photographies en noir et blanc qu’elle prend depuis toujours, et qui illustre à merveille son texte, ses texticules particuliers, néanmoins, n’est-elle pas en train de questionner le sens profond des choses, le sens profond de son être. Serait-elle, « zombie optimiste, calée sur ses oreillers, noircissant des pages somnambuliques – fruits encore un peu verts ou déjà trop mûrs » ?

 

Ce nouveau livre inclassable est le prétexte, en dix-huit stations de métro, de questionner le deuil, l’espoir, le passage du temps et du souvenir, la création, l’art, la littérature, la poésie, la vie, le café, tout ce qui fait l’infini minuscule de nos existences, et qui leur donne ce sens si profond, cette densité, que Patti Smith cherche à fixer dans les mots, les phrases, et la photographie. Et voilà pourquoi il est finalement si facile d’écrire sur rien, ce qui contredit le cowboy du rêve, parce que, tel que le dit l’auteur :

 

Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. »

 

Elle a tant à nous dire…

 

Marc Alpozzo

 

Patti Smith, M Train, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Gallimard, « Folio », février 2018, 7,80 euros

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