Retrouver Estelle, 15 ans après…

9 janvier 2003, son ex-femme appelle Eric Mouzin pour l’informer que leur fille Estelle n’est pas rentrée l’école. « Depuis, plus rien. » Estelle a disparu entre 18h30 et 18h45, à 400 m de son domicile, dans la petite ville tranquille et résidentielle de Guermantes en Seine-et-Marne. La vie s’est arrêtée, l’une des disparitions d’enfant les plus médiatisées reste non élucidée, et Eric Mouzin porte seul le fardeau de son sentiment de culpabilité.

15 ans après, nouvelle actualité. Éreinté par les épreuves mais toujours combatif, Eric Mouzin entre en guerre contre l’État, pour avoir « renoncé à chercher » sa fille. Un nombre incroyables de manquements graves parmi tout ce qu’il a dû supporter depuis la disparition d’Estelle :

« […] l’inertie des pouvoirs publics, la lenteur de la justice, le manque de moyen des policiers et des enquêteurs, l’absence persistante de structures d’accueil et d’information pour les famille […] ».

Cela offre un anniversaire médiatique à sa fille, une nouvelle marche, et l’espoir qu’au fond du dossier et de ses 80 000 documents dont il n’a toujours pas l’accès complet se trouve la réponse. Mais quand le juge sera dessaisi et que son successeur devra tout reprendre à zéro, combien de fois 15 ans encore Eric Mouzin devra-t-il attendre pour savoir ce qui est arrivé à sa petite Estelle ?

Une multitudes de petits chapitres pour dire comment il survit, ses recherches incessantes, la vie de sa nouvelle famille, l’horreur d’avoir été soupçonné, la froideur policière… mais surtout dire tous ces silences, tous les vides qu’on ne semble pas vouloir l’aider à combler.

 

 

Tous ces silences, ces non-dits, ces pistes non travaillées (l’ami de l’ex-femme n’est jamais interrogé !) ou non abouties (est-ce Michel Fourniret, un temps évoqué dans le dossier ?), toutes ces énergies à essayer de voir si lui, le père, ne serait pas le coupable… les rencontres aux Ministères, les marches de soutien, l’abandon du combat par la mère et les efforts constants pour demeurer le point solide sur lequel fixer tous les espoirs. Être un père pour Eric Mouzin, exemplaire ici à plus d’un titre, c’est se donner corps et âme à son enfant. C’est donner tout ce qu’il reste de sa vie pour nourrir l’espoir. C’est fédérer autour de soi une force, des bonnes volontés, qui deviendront une association.

C’est enfin la satisfaction d’œuvrer pour que  les horreurs qu’il a dû subir ne viennent pas hanter d’autres familles. Être à l’origine du dispositif gouvernemental Alerte enlèvement, initié aux États-Unis (National Center for Missind and Exploited Children) et déjà appliqué en Belgique (Child Focus). Même si, encore une fois, l’État s’est montré sceptique mis désintéressé et, deux ans plus tard, annonce comme si cela venait de lui qu’il réfléchissait à la mise en place d’un tel dispositif…

 

Faire le guignol dans les médias

Pour ne jamais baisser les bras, Eric Mouzin s’est installé dans un jeu dangereux avec les médias. Être très présent pour espérer une très forte mobilisation. Mais aussi risquer d’être utilisé par les médias pour quelques surplus lacrymaux. Et que de déceptions encore !

 

J’en arrive à me demander […] ce que veulent les médias. Et pour qui ils travaillent, du moins certains d’entre eux. Les médias veulent de l’émotion, bien sûr, parce que l’émotion va avec le discours compulsionnel entretenu par les politiques. Des politiques qui ne peuvent rien parce que des cinglés, des détraqués sexuels, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. […] / Qu’aujourd’hui politiques et enquêteurs s’investissent dans une telle gesticulation médiatique me laisse à penser que le passé, les grandes déclarations, les appels de Nicolas [Sarkozy], les rendez-vous dans les différents ministères, les journées des victimes, tout cela aussi était de la gesticulation médiatique. Pas du travail de fond. / Alors que puis-je attendre d’une institution qui va fonctionner dans ce registre-là ? Rien. […] Il n’y a rien a attendre d’eux. Donc, sauf miracle, on ne saura jamais. […]»

 

Initialement paru en 2011,  Retrouver Estelle est un cri. Et une immense lettre d’amour d’un papa pour sa fille, qui lui a été arrachée une seconde fois après le divorce. Tout parent devrait lire ce cri.

 

Loïc Di Stefano

Eric Mouzin et Véronique de Bure, Retrouver Estelle, J’ai lu, janvier 2018, 190 pages, 5,80 euros

 

Site de l’Association Estelle

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