Roger Moore – On ne vit qu’une fois, souvenirs

Couverture de Roger Moore - On ne vit qu’une foisRoger & moi

Les mémoires posthumes de Roger Moore, publiés en France sous le titre On ne vit qu’une fois, montrent que son sourire n’était pas tant celui d’un homme heureux que celui d’un optimiste au sens churchillien du terme, autrement dit celui de « quelqu’un qui voit derrière chaque calamité une chance ».

Je suis de parti pris.

Comment ne serais-je pas de parti pris, puisque c’est moi-même qui ai traduit en français le livre, intitulé On ne vit qu’une fois, que je veux évoquer (brièvement) ici ?

Il convient toutefois de préciser un point de chronologie. Ce n’est pas parce que j’ai traduit ces mémoires posthumes de Roger Moore que j’entends les défendre ; c’est parce qu’on savait que j’avais à maintes reprises pris la plume pour défendre Roger Moore qu’on m’a proposé de les traduire.

En effet, pour avoir plusieurs fois croisé Moore sur les plateaux des « Bond » tournés en France, j’ai toujours pensé que derrière cette légèreté qu’il affichait en permanence et que beaucoup lui reprochaient (Terence Young, par exemple, disait qu’il n’était qu’« un agneau déguisé en loup » quand il interprétait James Bond) se dissimulait la mélancolie qui se dissimule sous le masque de tous les vrais clowns. Et que son sourire était d’abord et avant tout celui d’un homme poli, acceptant de jouer dans la vie, sans en être dupe, le personnage qu’on attendait qu’il joue.

Car l’élégance de Moore — c’est au moins une chose que tout le monde lui accordait — n’était jamais dédaigneuse. Je ne connais qu’un cas où il ait dit du mal de quelqu’un, et encore avec un clin d’œil adoucissant considérablement la chose. À un fan qui lui demandait un jour si, malgré tous les bataillons de cascadeurs qui prenaient la relève pour les séquences d’action, il ne lui était jamais arrivé de se trouver lui-même dans une situation périlleuse, il répondit : « Oui, dans les scènes d’amour avec Grace Jones. »

Évidemment, certains diront qu’il n’y a aucun classique dans sa filmographie, et qu’elle inclut même un grand nombre de francs navets. On ne saurait par exemple prétendre que cet Enlèvement des Sabines où il avait pour partenaire Mylène Demongeot aura contribué à mieux faire connaître les subtilités de l’Antiquité gréco-latine. Aucun classique, non, mais au moins trois héros qui restent et resteront sans doute encore longtemps dans la mémoire collective : Simon Templar, alias le Saint ; Lord Brett Sinclair dans Amicalement vôtre ; et bien entendu James Bond.

 

Roger Moore - On ne vit qu’une fois (Moore en James Bond 007)

 

Nonobstant son succès auprès des foules — à cause de ce succès, peut-être ? —, les intégristes ne lui ont jamais pardonné d’avoir souvent fait de Bond un pitre. Mais, outre la naïveté qui consiste à penser qu’une machine aussi gigantesque qu’un « Bond » puisse reposer sur les seules épaules d’un comédien, c’est ne pas voir une chose essentielle dans l’univers de Bond ‒ la présence constante, obsédante, de la mort. La mort qu’il inflige à ses adversaires, et celle qui le menace lui-même à l’occasion de chaque mission. Et, plus largement encore, la fin d’une Angleterre qui, après la guerre, comprit que, quoi qu’il advienne, elle ne serait plus jamais ce qu’elle avait été. Daniel Craig a choisi de traiter cet aspect des choses en figeant son visage dans une immobilité marmoréenne, ce qui n’est pas un mauvais choix. Mais Roger Moore, qui sentait que même le marbre ne saurait échapper aux rides, avait opté pour l’humour, seule défense accordée par les dieux aux hommes contre le temps et le fatum (défense, pour ceux qui l’auraient oublié, déjà souvent présente dans les « Bond » de Sean Connery). Seule véritable « politesse du désespoir », comme l’a dit on ne sait plus qui.

Le lecteur d’On ne vit qu’une fois, de ces « mémoires d’outre-tombe » que leur auteur, nous dit-on, avait terminés quelques semaines avant sa mort, le 23 mai dernier, ne doit donc pas s’attendre à découvrir des chapelets d’anecdotes sur tel ou tel film. Il trouvera, certes, de nombreuses occasions de sourire, et même deux ou trois plaisanteries un peu grasses, mais Moore entend bien moins raconter sa vie et sa carrière que proposer, pour lui-même et pour nous aussi, une réflexion sur celles-ci. Sur le sens que peut avoir une existence et qu’on peut éventuellement lui donner. Si, après avoir accroché au vestiaire sa tenue de James Bond, le comédien Roger Moore prit sa retraite, ou peu s’en faut, l’homme Roger Moore fut en revanche, plusieurs décennies durant, l’un des ambassadeurs les plus convaincants de l’Unicef.

La page que nous avons choisi de reproduire ici n’est pas spécialement drôle. Pas seulement drôle, en tout cas. Mais elle montre que les yeux bleus de Moore, faussement naïfs, étaient bien moins détachés du monde que certains ont pu le croire.

 

FAL

 

Roger Moore, avec la collaboration de Gareth Owen, On ne vit qu’une fois, Souvenirs d’hier et d’aujourd’hui, traduit de l’anglais par Frédéric Albert Levy (FAL)Hors Collection, novembre 2017, 19 euros

 

 

Extrait de « Roger Moore – On ne vit qu’une fois »

Après la Seconde Guerre mondiale, une autre guerre a occupé une place déterminante dans mon existence ‒ la guerre froide. Après en avoir été pendant tant d’années l’un des acteurs par le truchement de James Bond, j’ai vu avec joie le monde prendre un autre visage avec la chute du mur de Berlin, en 1989. L’après-guerre nous avait habitués à penser « eux et nous » quand nous envisagions les relations entre le monde occidental et le bloc de l’Est, et la tension ne fut jamais aussi forte qu’à la fin des années cinquante et au début des années soixante. Elle atteignit même les studios de la Warner quand l’équipe du film Quand passent les cigognes (1) ‒ film important pour qui veut avoir un point de vue soviétique sur la Seconde Guerre mondiale ‒ arriva à Los Angeles pour la première américaine. Les executives de la compagnie pestaient contre cette « invasion communiste » et, l’empreinte du maccarthysme ne s’étant pas encore totalement effacée, aucun des comédiens sous contrat avec la Warner ne voulut se faire photographier avec les Soviétiques ; tous étaient terrifiés à l’idée qu’on pourrait les accuser d’intelligence avec l’ennemi ou, pire encore, inscrire leur nom sur une liste noire qui signifierait pour eux le chômage. Tout cela me semblait pure folie ‒ n’étions-nous pas, eux et nous, des gens qui faisaient le même métier ? ‒ et je convainquis Dorothy Provine, qui tournait avec moi la série télévisée The Alaskans (2), de m’accompagner pour aller partager le déjeuner de nos visiteurs. Nous fûmes ce jour-là les deux seuls Occidentaux à mettre les pieds à l’intérieur de la cantine.

Je garde aussi à l’esprit l’élection présidentielle de 1960, qui opposait Kennedy et Nixon. N’étant pas américain, je n’avais pas à mettre un bulletin dans l’urne, mais la consigne donnée par la direction de la Warner était qu’il fallait voter pour le second, parce qu’il représentait le meilleur rempart contre le communisme. Cette élection reste mémorable à maints égards, mais je me souviens en particulier du débat télévisé entre les deux candidats, chose inédite à l’époque. Kennedy était séduisant, mais il avait en face de lui un adversaire bien plus aguerri que lui, puisque Nixon venait d’occuper pendant huit ans les fonctions de vice-président. Pourtant, ce soir-là, face aux caméras de télévision, Nixon se montra nerveux et transpira. Il paraît que, pour ceux qui avaient entendu le débat à la radio, c’était lui qui s’était imposé dans le débat, mais, pour ceux qui avaient vu ce débat à la télévision, l’impression était tout autre : le choix de Kennedy était une évidence. Prenez-en de la graine, messieurs les hommes politiques ! D’ailleurs, Nixon sut retenir cette leçon. Lorsque, en 1969, il se représenta à l’élection présidentielle, il s’était fait préalablement coacher et il n’oublia pas de s’essuyer discrètement, mais régulièrement, les lèvres avec un mouchoir.

 

(1) Ce film attira en Union soviétique 28 000 000 de spectateurs et plus de 5 000 000 en France. Il obtint en 1958 la Palme d’or du festival de Cannes « pour son humanisme, pour son unité et sa haute qualité artistique ». Signalons que dans le titre original les cigognes sont en fait des grues, mais les distributeurs français estimèrent qu’une traduction inexacte valait mieux qu’une traduction ambiguë.

(2) Cette série, qui compta Jacques Tourneur parmi ses réalisateurs, n’a jamais, sauf erreur, été diffusée en France. Roger Moore a déclaré un jour que c’était la pire série à laquelle il ait jamais participé, expliquant que la Californie n’était certainement pas le décor idéal pour une reconstitution convaincante de l’Alaska.

 

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