« Scorpio » thriller d’espionnage frénétique et angoissant

Pour se venger du chasseur Orion devenu trop puissant, les dieux de l’Olympe créèrent le Scorpion. C’est sur cette base mythologique que Michael Winner et ses scénaristes ont imaginé Scorpio au début des années soixante-dix : un thriller d’espionnage frénétique et angoissant, avec Burt Lancaster et Alain Delon, qui vient de ressortir en DVD/blu-ray chez ESC.

Quand on pense aux films d’horreur des seventies, on a tout de suite en tête l’emblématique Exorciste de William Friedkin. Mais, à bien y réfléchir, la véritable terreur de cette époque est plutôt à chercher dans ses thrillers urbains, tous plus paranoïaques les uns que les autres, et s’ancrant dans une réalité sinistre : L’Inspecteur Harry (où le tueur psychopathe, déjà nommé Scorpio, exécute les passants au hasard), French Connection (où la police utilise des méthodes de gangsters et où la drogue gangrène tout), Taxi Driver et Un Justicier dans la ville (où un quidam, meurtri par la solitude ou le deuil, devient un vigilante avide de sang) ou encore Les Trois jours du condor (où la CIA cherche à éliminer un innocent qui en sait trop). Le tout dans des villes sales et grises, sans espoir.

 

 

Burt Lancaster, Michael Winner et Alain Delon sur le tournage

 

Duel

 

Avant de devenir, hélas, un tâcheron dans les années quatre-vingt, Michael Winner a été l’un des meilleurs cinéastes de ce courant « horrifique » et Scorpio est réellement un modèle de mise en scène immersive (et donc stressante), s’inspirant du montage rapide et du style reportage de Friedkin pour French Connection.

Nous sommes donc entraînés, de Washington à Vienne, dans la course folle de l’agent Cross (Lancaster), un tueur de la CIA qui en sait trop et que l’Agence gouvernementale, entité olympienne espionnant le moindre mortel, cherche à abattre coûte que coûte. Elle engage pour cela une autre de ses « créations », Scorpio (Alain Delon), autrefois disciple de Cross, et donc à même de mieux comprendre ses méthodes et ses ruses. En somme, c’est le même tueur, mais à un âge différent. De fait, à l’image d’Orion et du Scorpion dans la mythologie grecque, Cross et Scorpio sont des aimants de même pôle qui, en se confrontant, se repoussent et s’annulent. Ce duel ne serait-il donc qu’un leurre cruel, organisé par les dieux (ou les agences gouvernementales !) pour permettre au vrai pouvoir de rester à l’abri, en éliminant les créatures indésirables ?…

 

Alain Delon est Jean Laurier a.k.a. Scorpio

 

Il est fort possible, face au mouvement vertigineux et inconfortable du film, face à cette spirale paranoïaque, que Spielberg ait eu Scorpio en ligne de mire quand il a réalisé Munich. De même, Marc Forster, le metteur en scène de Quantum of Solace, le fameux James Bond âpre et mal-aimé de Daniel Craig, s’est sans doute inspiré, pour la poursuite pédestre dans Sienne entre Bond et son double, de l’incroyable course-poursuite entre Lancaster et Delon dans les ruelles et chantiers de Vienne (1).

 

Burt Lancaster dans le rôle de Cross

 

Chasse à l’homme

Mais Scorpio n’est pas qu’un exercice de style à la Friedkin. Diplômé en droit à l’université de Cambridge, le britannique Winner nous livre, au milieu du maelstrom, ou mieux : par le biais de ce maelstrom, une puissante réflexion sur les dérives autoritaires de l’Amérique pendant la Guerre froide. Une Amérique qui s’est totalement perdue, où les individus sont devenus des pions interchangeables, à l’image des agents de la CIA qu’on remplace sitôt assassinés. 

Inquiet de cet Etat dans l’Etat, Winner dénonce subtilement la dérive de l’Amérique en juxtaposant simplement, aux scènes de violence et de chasse à l’homme, les retrouvailles mélancoliques de Cross avec ses vieux amis européens : tous ont connu l’horreur des camps, aussi bien les camps nazis que les goulags.

Scènes poignantes car ces survivants ont compris la vraie valeur de la liberté…

 

Claude Monnier

(1) Jean-Claude Missiaen, présent sur le tournage en tant qu’attaché de presse, confirme dans un bonus passionnant que Lancaster et Delon n’ont pas été doublés, notamment lors d’une chute de plus de dix mètres depuis un échafaudage ! Précisons qu’à l’époque, il n’y avait pas de filin effaçable numériquement. N’est-ce pas monsieur Cruise ?… 

                                                                                                                                       

DVD/Blu-ray Scorpio (1973) de Michael Winner avec Burt Lancaster, Alain Delon, Paul Scofield, Gayle Hunnicutt. Editeur : ESC. Durée : 109 min. Format : 1.85. Suppléments : entretien avec Olivier Père (20 min), entretien avec Jean-Claude Missiaen : la fin des idéologies (20 min), bande-annonce originale. 

Disponible depuis le 21 août 2018.

Remerciements à Emmanuel Grésèque et Thifaine Sallin

 

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