Des soviets au communisme bureaucratique, au cœur du mystère soviétique

Un pionner de l’histoire soviétique

Disciple de Braudel, auteur de biographies magistrales de Pétain (Fayard, 1987) et de Nicolas II (Payot, 1990) qui le firent connaître du grand public autant que son émission Histoire parallèle, Marc Ferro publia Des soviets au communisme bureaucratique en 1980, un ouvrage qui marqua l’opinion. Ferro travailla pendant une dizaine d’années à partir des archives laissées par les soviets, ces assemblées du peuple surgies en Février et qui fleurirent dans l’ancien empire des tsars pendant toute l’année 1917. Jusqu’ici, personne n’avait travaillé sur ces sources de premier ordre. Qu’y trouva donc notre historien ?

La récupération des soviets

Tout d’abord, les partis socialistes (socialistes-révolutionnaires, mencheviks et bolcheviks) ne jouèrent aucun rôle dans leur naissance. Ce furent les « gens d’en bas » (ouvriers, paysans, femmes, etc.) qui les créèrent sur le modèle des assemblées de 1905. Ensuite, ces soviets prospèrent sur fond de décomposition de l’appareil d’Etat. En effet, le gouvernement provisoire ne parvint jamais à enrayer ce phénomène. En fait, Ferro ose (j’emploie ce verbe car en 1980, le livre dut choquer) affirmer que les soviets étaient un appareil d’Etat en gestation, venu d’en bas et générant sa propre bureaucratisation. Et c’est là qu’intervinrent les bolcheviks. Avec plus de succès que leurs rivaux, ils réussirent à coloniser les soviets, à récupérer leur légitimité auprès du peuple. Le génie de la manœuvre léniniste apparaît clairement.

Une nouvelle bureaucratie dans un Etat totalitaire

Fruit d’une insurrection populaire, les soviets générèrent des permanents, les premiers apparatchiks, bientôt dévoués aux bolcheviks. De fait, les soviets ne bougèrent pas (ou peu) lorsque Lénine dispersa l’assemblée constituante en janvier 1918. SR et mencheviks furent progressivement évincés durant les années qui suivirent. Le parti accapara le pouvoir, jusqu’à la fin des années 80 quand la Perestroïka échappa au contrôle de Gorbatchev. Voici un livre passionnant, ardu (lire la logorrhée des extraits de comptes-rendus ou de procès-verbaux des soviets est une véritable l’épreuve) qui éclaire les origines de ce qui fut une des pires dictatures totalitaires de l’histoire du monde.

 

Sylvain Bonnet

Marc Ferro, Des soviets au communisme bureaucratique, Gallimard, « folio histoire », septembre 2017, 352 pages, 7,80 euros

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