Stéphane Barsacq, réflexions et aphorismes pour une époque sans Dieu

Stéphane Barsacq, auteur d’essais sur Rimbaud ou Simone Weil et d’un roman qui a reçu le Prix Roland-de-Jouvenel décerné par l’Académie française, livre avec Mystica un trésor d’intelligence et de sagesse. En cette période de gros temps, ce ne sont pas les pamphlets hystérisés par les passions tristes de l’époque qu’il s’agit de lire, mais des livres profonds, peut-être trop pour nous, des livres qui visent la grâce, l’amour, la joie afin de mener une quête de la parole qui soit salutaire, et de cesser de retourner dans nos esprits fatigués le mythe de la mort de Dieu, afin de penser le nouveau Dieu que nous avons créé : un Dieu de la mort.

 

Attention ! Ce livre est un chef-d’œuvre ! Voilà, je l’ai dit. Le mot est lâché. Et je ne reviendrai pas dessus. Ça se déguste comme du miel. Se butine. Essai mi-philosophique mi-mystique, le nouveau livre de Stéphane Barsacq, intitulé sobrement Mystica, est un ensemble de pensées et d’aphorismes. Des mots pour la vie, pour le présent, des méditations diverses pour comprendre l’amour, la grâce, la joie, la foi, l’existence, Dieu ou son absence.

Car Mystica est notre contemporain. Il est le livre de la renaissance. Renaissance de quoi ? voilà la question. C’est du moins celle que pose Stéphane Barsacq, qui, dans le désarroi ambiant, tente l’éclairage du désert si mal irrigué de notre époque sans lumière ni grandeur. Or, pourquoi un tel sentiment d’abandon étreint la plupart des hommes aujourd’hui, perdus, déboussolés au milieu d’un monde et d’une existence dont ils ne perçoivent plus le sens. Qu’est-ce qui fait que l’homme moderne, l’homme du vingt-et-unième siècle ressent dans sa chair comme dans son âme le Rien, le Néant, le Rien du Néant avec une telle puissance que le chaos et la confusion envahissent son cœur, font barrage sur le chemin balisé qu’il pensait avoir dessiné depuis très longtemps ? Sûrement Stéphane Barsacq nous indique-t-il une première réponse : la disparition de la foi dans nos cœurs est certainement à l’origine de cette désolation, cette acédie.

 

L’homme s’épuise en absolu quand Dieu se tue dans l’homme. La vie n’est peut-être que le transfert continuel et simultané de ces deux états. Chaque fois que nous nous sentons être, Dieu meurt et nous tendons à Dieu. Céleste agonie, dont nous mourrons ensemble aussitôt. »

 

En neuf chapitres, dont on croirait que certains aphorismes ou pensées sont extraites de son journal intime, Stéphane Barsacq se propose, et nous propose, de rebrousser chemin, de refaire le chemin en marche arrière, et de saisir les moments de fulgurance nécessaires à la recomposition de la joie, cette joie perdue en nous, dont nous n’entendions plus la fine musique, malgré tout.

 

Organiser sa vie à la manière de marées montantes. Refaire sans cesse le même chemin, allant toujours plus loin, entraînant dans son flux ascendant les mêmes sables et les mêmes phosphorescences, jusqu’à déposer sur le plus haut rivage une frange aurée. Alors les vagues se portent les unes au-dessus des autres, et l’écume du ciel s’extasie aux nuages. »

 

Renversant la formule de Nietzsche « Dieu est mort » en un « Dieu de la mort », l’auteur de ce recueil d’aphorismes si brillant met en lumière un aspect mortifère de notre pensée contemporaine qui est le résultat de la fin de la foi, de cette confiance que le mot latin fides rapporte, de la dévotion en une puissance supérieure, pour en finir par créer de multiples religions matérialistes comme l’essor des sciences, l’extension des technologies, l’athéisme, la peur de Dieu, la peur de la mort, l’absence de toute croyance si ce n’est celle en notre fin prochaine et dernière qui pétrifie toute verticalité et toute transcendance.

 

Or, Stéphane Barsacq aurait-il tort d’écrire que « Refuser Dieu c’est ramener l’infini à la plus étriquée des méconnaissances » ?

 

Ce livre est un hymne à la joie, c’est un livre qui tend à redessiner l’amour, le réinventer, fidèle au vœu du poète, c’est un hymne au désir, au devenir. Ce livre recherche les infinis en l’homme, pour lui promettre de dépasser ses limites et de retrouver un horizon, afin que notre « monde [qui] sombre un nouvelle fois » ne sombre pas pour la « dernière fois ».

 

Ce livre n’est pas seulement une boîte à pharmacie pour notre siècle, c’est aussi un livre qui mêle silence et verbe, foi et raison, immanence et transcendance, au carrefour des paradoxes et des antinomies, comme peut l’être l’homme dans toute sa dimension humaine et divine. C’est un livre qui nous convie à retrouver la part du divin qui se cache en nous. Renouer avec un instant de grâce.

À lire d’urgence !

 

Marc Alpozzo

 

Stéphane Barsacq, Mystica, Revue Nunc, Éditions Corlevour, octobre 2018, 155 pages, 15 euros

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