« Je suis en vie et tu ne m’entends pas » : le cri de Daniel Arsand

Je suis en vie et tu ne m'entends pas (Babel)Comment revenir à la vie après avoir vécu l’horreur ? Comment ne plus être seulement dans la survie mais dans la vie ? Des thèmes forts  servis par l’écriture puissante et acérée de Daniel Arsand dans Je suis en vie et tu ne m’entends pas.

 

Passer du statut de survivant à celui de vivant

 

Novembre 1945. Klaus Hirschkuh revient à Leipzig, une ville détruite dont il reconnaît à peine les rues après quatre ans d’absence. Il marche parmi les décombres, fantôme, à bout de force après quatre ans d’internement au camp de Buchenwald. Parce qu’il est homosexuel. Il est vivant et retrouve les siens, tous sauf Hans. Hans est mort. Lui, le survivant, va devoir réapprendre à vivre avec et pour les autres, malgré les autres. De Leipzig à Paris, nous suivons cette renaissance aux forceps qui s’achève dans un cri.

 

« Ils n’étaient pas des fantômes. Ils avaient une voix »

 

L’histoire de Kaus Hirschkuh est celle d’un survivant des camps mais pas de n’importe lequel. C’est un triangle rose qui a survécu quatre ans à Buchenwald aux pires horreurs. Il raconte la peur des chiens, celle d’être châtré, les viols à répétition. Daniel Arsand s’est inspiré du témoignage de Heinz Heger, triangle rose, qui fut l’un des premiers à témoigner mais seulement dans les années 70. Il faut dire que le retour pour les homosexuels survivants ne signifie pas la fin des poursuites. En effet, le paragraphe 175 criminalisant l’homosexualité masculine reste en vigueur après la guerre et ne sera aboli qu’en 1966. Dans ces circonstances, on ne peut s’étonner de la chape de plomb qui a pesé aussi longtemps sur ces oubliés des camps. Mis à l’écart des cérémonies du souvenir, absent des manuels scolaires, il faut attendre 2001 pour que Lionel Jospin y fasse mention en France et 2002 pour que le gouvernement fédéral allemand réhabilite les homosexuels condamnés sous la période nazie.

 

Décembre 1938, prisonniers au triangle rose dans le camp de Sachsenhausen

 

Vivants mais inaudibles, Daniel Arsand leur donne la parole et œuvre pour le devoir de mémoire. Klaus, âgé, assiste en 1989 à la première journée de la déportation et il entend :  « Les pédés, aux fours ! On devrait rouvrir les fours pour les mettre dedans ! » Aujourd’hui, l’homophobie est en augmentation dans de nombreux pays : arrestations, tortures et exécutions en Tchétchénie alors que 83 % des Russes pensent que l’homosexualité est condamnable.

Une écriture comme un cri

 

Le sujet est fort et ne pouvait être servi que par une écriture à la hauteur du discours. L’écriture se calque sur l’état de Klaus : elle est d’abord haletante et hachée lorsque Klaus doit réapprendre à vivre. Chaque mot, chaque phrase est une douleur, une gifle pour le lecteur et traduisent la violence intérieure de Klaus. Puis, petit à petit, l’écriture gagne en fluidité tout en restant puissante. La voix de Klaus sonne haute et claire et s’achève comme dans un cri :  « Nous ne baisserons pas les bras. Plus jamais. M’entendez-vous ? »

 

 

Clio Baudonivie

 

Daniel Arsand, Je suis en vie et tu ne m’entends pas, Actes sud, « Babel », février 2018, 272 pages, 7.90 pages, euros

 

 

 

 

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