« Tortues à l’infini » de John Green lu par Elodie Huber

Aza Holmes (dîte Holminette) est une adolescente perturbée. Elle passe son temps à s’angoisser et craint en toutes circonstances l’infection bactérienne. Et elle se parle : son moi-jeune-fille-fragile se heurte aux admonestations de son moi-vindicatif qui la force à céder aux pulsions qui lui font se laver les mains sans cesse et à boire du gel hydro-alcoolique… Elle est malade, le sait, et tente de vivre avec cette complication. Et elle doit aussi survivre à la mort de son père… A côté d’elle, il ya sa mère tendre et sur-protectrice, Daisy sa meilleure amie volubile et exaltée, et Davis, son amoureux, fils d’un milliardaire en fuite…

Si toute l’histoire s’articule autour d’un mystère, celui de la disparition de Russel Picket, le père de Davis (et de son petit frère Noah), bien vite l’aspect enquête policière s’estompe et laisse place au vrai sujet du roman : l’enquête identitaire. Comme tous les personnages de John Green, Aza Holmes est à la croisée des chemins, elle se cherche et va passer d’un moment de sa vie à un autre. C’est le roman d’un être en devenir, et qui devient. Car Aza commence son histoire par le doute d’exister, ou bien de n’être qu’un personnage de fiction. Ou bien de n’être que le véhicule des microbes qui la commandent.

 

Et si on ne peut pas choisir ce que l’on fait ou ce que l’on pense , alors peut être n’est on pas tout à fait réel. Je suis peut être un mensonge que je me montre à moi même. »

 

Tortues à l’infini a tout pour plaire aux lecteurs adolescents. Des êtres fragiles, une situation où montrer son héroïsme tout en n’étant guère aventurier, des citations pour se construire, un peu d’amour, de l’amitié, de l’humour. Tout ce qui fait le sel des romans de John Green, car c’est avec une vérité romanesque qu’il assemble ces éléments dans un naturel singulier mais crédible, sans artifice. Ses romans se définissent d’ailleurs par cette capacité à extraire du réel simple et ordinaire des petites vies qui seront embellies. Elles ne seront pas plus grandes, mais restant elles-mêmes, ces vies vont toucher le lecteur.

Il y a des fan-fiction de Star Wars, des rendez-vous amoureux, de la complicité entre amies, Shakespeare, et tout le monde que les deux amies découvrent en parcourant Indianapolis, ville sans relief mais qui possède en profondeur quelques secrets, bien exploités par le romancier pour suggérer la profondeur de ses personnages mêmes. Car tout fait sens, aussi bien la peinture en forme de spirale sur les murs de la villa Picket (car Aza se sent prise elle-même dans une spirale qui s’enfonce en elle…) que l’affection d’ana pour sa voiture, les fans-fictions de Daisy, les poèmes de Davis…

 

Elodie Huber, comédienne et doubleuse, est une lectrice émérite, à qui l’on doit beaucoup de romans policiers et de Stephen King (mais aussi Dumas, Radiguet, Hugo, etc.). Dans ce registre plus intime, elle propose une lecture touchante, la voix fragile de la comédienne se superposant avec beaucoup de justesse sur celle de la narratrice, Aza, sur son double également. Sa voix alterne avec beaucoup d’intelligence les rythmes, les tons, les intonations, si bien qu’on vit vraiment cette lecture.

 

S’il na rien de fondamentalement différents des autres romans de John Green, Tortues à l’infini est une vraie belle réussite qui confirme tout le talent d’un auteur déjà culte. A mettre sans doute au même niveau de réussite que son grand succès Nos étoiles contraires.

 

 

Loïc Di Stefano

John Green, Tortues à l’infini, lu par Elodie Huber, traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Gibert, Gallimard, « écoutez lire », 1 CD, 6h30, 21,90 euros

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