« Tout va bien m’man ! », souvenirs de Jean-Pierre Kalfon

Rédiger son autobiographie est toujours un art délicat. Même quand on est aidé par un professionnel chargé de remettre de l’ordre dans les pensées et de colmater les brèches (ici Philippe Rège). Délicat car rares sont les acteurs qui ont vraiment quelque chose à dire. À part nous narrer leur enfance et nous dévoiler de rares « secrets » de tournage, ils se contentent d’enchaîner les fadaises et de pérorer du haut de leur expérience. De plus, ils écrivent trop souvent sans imagination et dans un style passe-partout destiné à satisfaire le plus grand nombre, étant sous-entendu que ce grand nombre ne brille point par ses exigences.

Avec Jean-Pierre Kalfon et Tout va bien m’man, nous voilà dans l’extrême opposé. Non seulement, il a beaucoup de choses à raconter mais, cerise sur le gâteau, il le fait dans son style particulier, parsemé de clins d’œil, de réflexions à l’emporte-pièce et de jeux de mots dont certains savoureux. Dès lors, on ne lit plus un pensum mais on se marre en sa compagnie. Car le personnage n’est pas triste. Haut en couleurs, disent les lettrés. Complètement déjanté, estiment les autres. 

Et puis il est grand amateur de Michel Audiard et, à ce titre, mérite le respect…

Si cet ouvrage figure dans la rubrique cinéma, il aurait pu tout aussi bien briller sur bien d’autres étagères (virtuelles). Puisque le bougre est un touche-à-tout, toujours prêt à sauter sur la moindre occasion même si celle-ci est un baril de poudre.

 

Jean-Pierre Kalfon en concert à Dijon (2012)

 

Kalfon a trois passions. Par ordre d’importance : les femmes, la musique et le cinéma. Et dans ces trois domaines il ne nous cache rien, ou presque.

Concernant les femmes, il nous dévoile tout un pan de sa vie sexuelle qui va des amours éternelles aux passades d’une heure. Ne s’estimant ni Casanova, ni Don Juan, il raconte tout cela avec bonne humeur, fausse pudeur et plein de clins d’œil. Au passage il avoue son addiction momentanée pour diverses drogues. C’est du vécu, c’est du brutal.

La musique fut son principal hobby. Il n’a pas arrêté de monter des groupes pour aussitôt les démonter avec la même énergie. Il s’est produit dans les endroits les plus improbables avec une ferveur de débutant. On pourrait résumer cela à « une vie de rockeur » mais ce serait un peu court.

 

Jean-Pierre Kalfon et Patrick Dewaere dans « Mille milliards de dollars »

 

Enfin, le cinéma lui est tombé dessus. Il s’y est beaucoup amusé, sans jamais chercher à grimper en haut de l’affiche. D’où une pléiade de films où se côtoient les comédies, les films intellos, les nanars mais aussi les productions américaines (il faut se souvenir de Condorman, quand même, qui sévit bien avant nos super-héros actuels). Avec, au passage, deux nominations pour le César du meilleur second rôle : Le Cri du hibou (1988) et Saint-Cyr (2001). 

Étonnamment, le septième art est le sujet sur lequel il se montre le moins prolixe. Par exemple, il nous parle de ses rencontres avec Lee Marvin (sur le plateau de Canicule) mais omet de nous dire quels furent leurs sujets de conversation. Dommage, car on en veut plus, toujours plus. 

Partant dans ces trois directions, sans jamais se perdre, se construit le livre. On devine bien la part qui incombe à Philippe Rège qui, en élève appliqué, s’attache à citer (presque) tous les noms des comédiens pour chaque film et chaque pièce de théâtre. Démarche sympathique mais pas forcément utile. 

 

Jean-Pierre Kalfon dans le rôle de Morovitch, le méchant du film Disney Condorman.

 

Kalfon a toujours surpris par son jeu légèrement décalé (il avoue avoir peu préparé ses rôles et même rarement appris ses répliques), il surprend désormais avec son livre légèrement décalé. Ce n’est pas une autobiographie comme les autres. Et c’est en cela qu’elle est réjouissante. Un brin de folie traverse pages et chapitres et le lecteur doit rester aux aguets pour ne pas manquer une pirouette ni un calembour. 

De plus, le Jean-Pierre ne se contente pas de survoler pour mettre en valeur les faits saillants de sa riche carrière. Puisqu’il se raconte, autant qu’il aille jusqu’au bout. En sort un livre copieux qui s’étale sur 360 pages. Rare pour une autobiographie de comédien !

Mon seul bémol portera sur ce titre que je trouve un peu niais et qui aurait mieux convenu à Chantal Goya qu’à Jean-Pierre Kalfon. Il aurait mérité mieux, même si c’est un clin d’oeil à la reprise par Lucky Blondo du classique d’Elvis Presley That’s all right mama. 

Hormis cette petite fausse note, le moins que l’on puisse écrire est que Kalfon n’a pas démérité et que ce chant de gloire n’est pas un chant du cygne mais un chant d’honneur…

 

Philippe Durant

 

Jean-Pierre Kalfon, Tout va bien m’man, L’Archipel, octobre 2018, 360 pages, 21 euros.

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