Un tour de France littéraire, la vie des livres avant 1789

Un historien du livre

Robert Darnton fait partie de cette génération d’historiens américains (comme Steven Kaplan ou Robert Paxton) qui ont décidé de consacrer leur vie de chercheur à l’histoire française, cette Terra incognita du grand public américain. Darnton a choisi de se concentrer sur l’histoire intellectuelle du XVIIIe siècle, celle d’avant la Révolution. Récemment il nous a donné L’Affaire des quatorze (Gallimard, 2014) où il revenait sur une histoire de libelles très licencieuses mettant en cause le Roi Louis XV et sa maîtresse la marquise de Pompadour, qui en 1748 causa la chute du ministre Maurepas — futur mentor du jeune Louis XVI —, signe de plus de la lente désacralisation de la monarchie. Il se propose avec Un tour de France littéraire de revenir sur les livres et leur circulation — il a déjà publié sur le sujet Edition et sédition, l’univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle en 1992 déjà chez Gallimard —, à travers l’étude du fond d’archive de la société typographique de Neufchâtel (STN).

 

Le monde de l’édition au XVIIIe siècle

 

Robert Darnton commence par nous peindre un panorama de ce monde très particulier que constitue l’édition sous l’Ancien Régime. Il y avait tout d’abord des éditeurs officiels, organisé comme une corporation, recevant comme privilège le droit de publier des ouvrages. Cependant, la demande crût au XVIIIe siècle, sans compter le poids de la censure. Naquirent en Belgique, en Hollande et en Suisse des maisons spécialisées dans la contrefaçon de livres déjà publiés, comme l’encyclopédie et parfois encouragés par des auteurs comme Voltaire. La STN fut l’une d’elles. Robert Darnton retrace dans ce livre l’itinéraire d’un de ses représentants de commerce, Favarger, qui parcourt le sud du Royaume pour vendre des livres. Il a recours au réseau des huguenots, semi-clandestins depuis la révocation de l’édit de Nantes mais toujours influents dans des villes comme Nîmes, Montpellier ou Toulouse. La STN vend donc des psaumes mais aussi d’autres ouvrages.

 

Des lectures des français

 

Alors qu’achètent donc ces libraires ? Des psaumes protestants, l’encyclopédie, l’ouvrage de l’abbé Raynal sur la conquête des Indes, Voltaire et Rousseau. On retrouve les idées de ce dernier dans un « best-seller » de l’époque, L’an 2440 de Louis-Sébastien Mercier, réclamé à Marseille, Nîmes ou Montpellier. On y voit aussi des livres enfantins, preuve que le regard sur l’enfant est en train de changer. Pour autant, ce monde de l’édition semi-clandestine est à la veille de sa mort, persécuté par l’Etat et bientôt concurrencé par la floraison de libelles prérévolutionnaires. Voilà un ouvrage remarquable dont on ne saurait se passer si on s’intéresse à la circulation des idées juste avant la Révolution française.

 

 

Sylvain Bonnet

Robert Darnton, Un tour de France littéraire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-François Sené, Gallimard, « NRF Essais », novembre 2018, 400 pages, 25 euros

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