« Une adolescence au temps du Maréchal » de François Augiérias

Pour qui voudrait découvrir ce nomade lumineux que fut François Augiérias, dont la vie et l’œuvre s’entremêlent, Une adolescence au temps du Maréchal se veut une belle entrée en matière. Lorsque le livre paraîtra en pleine effervescence soixante-huitarde, il n’eut que peu d’échos alors que toute une jeunesse aurait pu se reconnaître dans cet homme qui avait pour ambition de faire naître en lui un Nouvel Homme et de communier avec les astres. Marginalisé, parfois suspecté d’idéologies rappelant des désastres passés, Augiéras est ostracisé car mal appréhendé ou mal compris.

L’auteur à la trajectoire rimbaldienne nous livre pourtant dans ce journal débuté en 1931 lors de son entrée au collège Stanislas de Paris, ville qu’il déteste, et qui s’achève en 1958 avec ses péripéties dans le sud algérien, quelques clefs fondamentales. Celles-ci permettant d’appréhender comme il se doit cet écrivain marginalisé pour qui le mystique et le charnel fusionnèrent, dont la vie faite d’errances refusa tout compromissions avec le monde des hommes et une civilisation qu’il jugea « pourrie jusqu’à la moelle ». On comprendra mieux, dès lors, son rejet du monde chrétien tout autant que son rapport mystique à l’univers proche du panthéisme dicté par des forces théurgiques.

Augiéras nous raconte comment en 1941 le jeune homme vibrion qu’il fut s’installa à Périgueux avec sa mère, veuve d’un pianiste fauché dans la force de l’âge qui mourut avant qu’il ne vienne au monde. Dans cette période sombre de l’histoire, celui qui n’a pas de père et recherche l’homme intègrera un mouvement de jeunesse pétainiste, y voyant une rupture saine avec les fondamentaux chrétiens. Une fois découvert le factice et la face cachée de l’idéologie germanique qui s’y cache, il s’en écartera bien vite pour voler de ses propres ailes et suivre son parcours initiatique. Il s’essayera au théâtre, fera quelques rencontres qui le conforteront dans ses choix irréversibles. Happé par la littérature et la peinture, son univers personnel se dessinera petit à petit. On le suivra par la suite à Alger et dans le grand sud algérien où son oncle avec qui il entretiendra une relation charnelle tumultueuse lui inspirera son premier roman Le Vieillard et l’Enfant qu’il signera sous le pseudonyme d’Abdallah Chaanba. Ses écrits tombant dans les mains d’Albert Camus, Augiéras croisera par la suite la route d’un André Gide, vieillissant et fraîchement nobélisé, qui perçoit la magie qui émane de cet astre. Alors que les portes d’une carrière littéraire servie sur un plateau d’argent s’offriront à lui, fidèle à son nomadisme on le retrouvera opter pour une vie primitive dans une petite maison sur les bords de la Vézère ou dans une grotte du Périgord. Littérature, peinture et communion avec la nature rythmant son quotidien…

Pour qui désirera aller plus loin, une poignée de livres (pour beaucoup édités après sa mort) permettront de poursuivre cette aventure existentielle. Son œuvre, au regard de la décrépitude de notre monde contemporain, n’en ayant que plus de sens. Augiéras n’ayant jamais fait de concessions en payera le prix, rendant l’âme sans acrimonie aucune à seulement 46 ans dans le dénuement le plus total. Pauvre parmi les pauvres mais riche d’un savoir et de visions qui ne se monnaient pas…

Romain Grieco

François Augiéras, Une adolescence au temps du Maréchal, préface de Jean Chalon, Bartillat, janvier 2018, 368 pages, 12 euros