Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci

Made in Italia

Sergio Corbucci fait partie des trois « maîtres » du western dit spaghetti avec Sergio Leone (largement devant) et Sergio Sollima. Comme l’explique très bien Vincent Jourdan dans Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci, Leone a fignolé des westerns à l’américaine (et quels westerns !) tandis que Corbucci préférait la mode italienne. Raison pour laquelle il est moins connu hors des frontières transalpines que son illustre confrère.

Corbucci a donc signé une palanquée de westerns dont deux un peu plus célèbres dans notre hexagone car interprétés par des Français : l’excellent Le Grand Silence (avec Jean-Louis Trintignant) et le déroutant Le Spécialiste (avec Johnny Hallyday). Pourtant, ce livre nous explique que le western ne constitue que l’une des nombreuses facettes de l’œuvre de Corbucci. En réalité, il était beaucoup plus intéressé par les comédies. Genre qui marqua d’abord le début puis la fin de sa carrière. Il n’hésita pas à faire jouer Toto (comique italien que j’ai toujours trouvé détestable) et le duo Terence Hill-Bud Spencer (qui m’amusait beaucoup quand j’étais jeune, un peu moins maintenant…).

 

Une filmographie riche de soixante titres qui couvre quarante années de cinéma italien, en épousant les mouvements et les modes, réalisateur connu mais pas reconnu, commercial mais avec une forte personnalité et un style marqué »

 

Pour une fois, le titre du livre est tout à fait juste : Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une biographie mais d’une présentation détaillée de chacune de ses œuvres qui, pierre après pierre, constituent une riche carrière. Hélas, trop de ces films n’ont jamais été projetés sur grand écran en France. Il faut, donc, fouiller du côté des DVD et des téléchargements pour les retrouver…

 

Johnny Hallyday dans le rôle de Hud, cowboy solitaire et taciturne, « Le Spécialiste » (1969)

 

L’auteur, Vincent Jourdan, connait son sujet. Pour nous en fournir la preuve, il ne se contente pas déverser des tonnes d’informations mais nous raconte sa relation passionnée avec le cinéma de Sergio. Grâce à lui, Corbucci sort de l’ombre. On apprend à mieux le connaître, à découvrir son sens de l’image autant que son sens de l’humour et à comprendre que, s’il n’a jamais été une référence de la trempe de Scola, Risi ou Monicelli (et ne parlons pas de Fellini), il n’est en rien un cinéaste négligeable dans le panorama italien. Difficile de dresser des comparaisons mais l’on pourrait se référer, en France, à un Georges Lautner, par exemple, par son éclectisme. 

 

Franco Nero dans «Django» (1965), le film qui inspira Quentin Tarantino

 

À moins que vous ne soyez féru de Corbucci depuis votre plus jeune âge, vous apprendrez plein de choses en lisant ce livre. Et c’est tant mieux !

Concrètement, il se divise en trois parties :

  • Un descriptif quasi biographique qui retrace avec minutie le parcours de ce réalisateur
  • Une approche plus analytique qui revient sur son œuvre proprement dite (avec, notamment, un chapitre contenant les critiques d’époque tant en France qu’en Italie).
  • Un arrêt sur quelques-uns de ses films que l’auteur considère comme plus marquants (et il nous dit pourquoi).

 

Terence Hill, Sergio Corbucci et Ernest Borgnine sur le tournage de « Un drôle de flic » (1980)

 

Tout cela est très fouillé, complété par de nombreuses références tous azimuts. De ce fait, ce n’est plus seulement un voyage dans le cinéma de Corbucci mais une véritable épopée dans tout le cinéma populaire italien (westerns + comédies) que, comme toujours, les « spécialistes » ont trop tendance à négliger. De nombreux produits fabriqués par Sergio ont obtenu de gros succès en Italie (on le surnommait « monsieur milliards ») et de ce fait sont les témoins de leur époque. Rien qu’à ce titre, ils mériteraient d’être revus. Et je préfère redécouvrir le 7e art transalpin à travers la caméra et la carrière de Corbucci qu’à travers les études d’exégètes pantouflards.

 

Bud Spencer et Terence Hill dans le joyeux nanar « Salut l’ami, Adieu le trésor » (1981)

 

Vincent Jourdan nous offre un travail remarquable, solidement étayé, efficace et, sur ces bases, fournit à Corbucci une sorte de passeport pour l’éternité. Dommage que Sergio ne soit plus là pour apprécier cette somme et se dire qu’il n’a pas (trop) démérité dans sa longue carrière. 

 

 

Je voudrais terminer par une note tout aussi positive : la qualité du livre. Non son contenu mais son contenant. Les éditions Lettmotif savent faire de « beaux livres » et grâce leur en soit rendue. Celui-ci s’inscrit dans la lignée du Montgomery Clift : maquette de qualité, photos bien choisies et bien mises en valeur, couverture rigide… J’aime à répéter qu’un livre doit d’abord être un bel objet que l’on prend plaisir à tenir entre ses mains. De moins en moins d’éditeurs en ont conscience (il n’est qu’à voir les couvertures désormais guère plus épaisses qu’une feuille de papier à cigarette), affichant, à mon sens, un certain mépris du public. Lettmotif ne glisse pas dans ce travers. 

 

Philippe Durant

 

Vincent Jourdan, Voyage dans le cinéma de Sergio Corbucci, Ed Lettmotif, août 2018, 296 pages, 60 photos couleur, 39 euros

 

 

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