Weygand l’intransigeant, un parcours ambigu

Historien et militaire

Auteur de la biographie du général Corap (Perrin, 2017) et d’une grande synthèse sur le front d’orient (Tallandier, 2014), Max Schiavon a dirigé le Service historique de la Défense. Il se propose ici de revenir sur le parcours de Maxime Weygand, second du maréchal Foch, généralissime français en mai-juin 1940 et un des initiateurs de l’armistice avec l’Allemagne nazie. Weygand est un cas limite sur lequel nombres d’historiens et de polémistes s’écharpent depuis la fin de la guerre : Weygand l’intransigeant fournit-elle l’occasion de clore le débat ?

 

Un militaire de carrière

Enfant qui ne connaîtra jamais ses origines (sa mère était-elle l’impératrice Charlotte de Belgique ?), Maxime Weygand choisit la France et la carrière des armes. Excellent cavalier, il se fait remarquer par ses supérieurs pour son caractère et son habileté tactique. La grande guerre lui permet de rencontrer le général Foch dont il devient le second :

 

Le binôme Foch-Weygand est parfaitement équilibré, fonctionne selon la lettre et l’esprit des règlements militaires et même va au-delà car “le génie créateur de Foch trouvait en Weygand le plus admirable metteur au point, le réalisateur pratique”. Plus le temps passe, plus le chef d’état-major se coule dans l’esprit de son chef, parvient à deviner ses décisions et donc anticipe les ordres à donner. »

 

Ce cavalier devient donc un homme d’état-major, brillant mais commande peu sur le terrain. Reste que sa place centrale auprès de Foch fait de lui un général et lui permet d’être présent à Rethondes lors de la signature de l’armistice le 11 novembre 1918. Foch encourage ensuite son disciple à s’émanciper. Weygand est ainsi de la mission militaire dépêchée en 1920 en Pologne pour sauver le pays de l’invasion soviétique. Si son rôle est moins décisif que ne le croit Max Schiavon, il est en tout cas positif. Weygand part ensuite en Syrie et gouverne cette ancienne province ottomane devenu un mandat de la SDN avec efficacité, dans le cadre du système colonial français.

Weygand se fait remarquer aussi par son impertinence envers les politiques. Quand il devient inspecteur général de l’armée, les ministres de la guerre successifs trouvent en lui un interlocuteur difficile, un défenseur sourcilleux du budget militaire au moment où les nazis remportent leurs succès électoraux avant d’arriver au pouvoir en 1933. Lucide, Weygand avertit les politiques mais ne se fait pas entendre. De là date certainement une rancœur contre eux et contre la République, ce que Max Schiavon minore. De plus, si ses efforts en vue de la motorisation sont réels, Weygand ne voit pas le potentiel des grandes unités blindés en vue d’une guerre de mouvement.

Remplacé par Gamelin, Weygand est alors dans une semi-retraite…

 

Un commandement difficile

Rappelé au service (le titre d’un volume de ses mémoires), Weygand remplace Gamelin en mai 1940 et se retrouve dans une situation désespérée. Les allemands ont percé et les français n’arrivent pas à contre attaquer efficacement (sans compter la mort du général Billotte, qui commandait dans le nord). Si ses talents d’entraîneur d’hommes ne font aucun doute, ni son sens tactique (sa tactique du hérisson sur la Somme permet de retenir les allemands quelques jours en leur infligeant des pertes sensibles) et ni sa réputation acquise auprès de Foch ne peuvent empêcher le désastre de l’armée française en 1940.

Le biographe a raison d’estimer que cette défaite ne peut lui être imputé : l’ensemble de la classe politique et des généraux des années 30 en sont comptables. Par contre, lorsque Weygand, lors des journées dramatiques de juin 1940, sort de sa réserve, tance Reynaud pour le pousser à l’armistice, il change de rôle et passe dans le champ de la politique. Pour sauver l’honneur de l’armée, dit-il et croit-il.

 

 

Serviteur de l’Etat français

Répétons-le, rien ne le poussait à sortir de la réserve traditionnelle des militaires pour émettre des jugements politiques, voire pour pousser au changement de régime. Or le voilà ministre de la défense nationale du maréchal Pétain. S’il fait transférer le stock d’eau lourde et les marchés d’armement conclus avec les américains aux anglais, il soutient de son plein gré le vote des pleins pouvoirs à Pétain et les premières mesures antidémocratiques.

Au fond Weygand s’en accommode très bien, même s’il s’oppose régulièrement à Laval et sa stratégie de la collaboration. Weygand ne voit pas que la stratégie de la collaboration est contenue dès l’armistice et la constitution de l’Etat français. Il cosigne ainsi sans barguigner le premier statut des juifs. De plus, en tant que délégué du gouvernement en Afrique du nord, il applique avec sévérité ce dernier texte, internant de plus sans vergogne les opposants politiques. Comme en métropole, il organise la dissimulation des armements mais contre qui s’en servir ?

Antiallemand sincère, il s’oppose effectivement aux protocoles de Paris voulu par Darlan et contribue à couler l’accord. Il protège aussi l’armée d’Afrique mais la prépare à une stratégie de défense tous azimuts qui pèsera lourd en novembre 1942 : cela, Max Schiavon ne le voit pas. En fait, si on suit Michèle Cointet, il est le 4e personnage central de Vichy, celui qui saborde les projets de parti unique et qui favorise la légion française des combattants, d’où sortira le SOL puis la Milice. Certes, il ne pouvait le savoir ou le prévoir…

 

Réhabilitation ?

Arrêté puis déporté en Allemagne, Weygand est arrêté par son ancien subordonné de Lattre en avril 1945 puis transféré en France. Son procès en 1948 aboutit à un non-lieu. Weygand reste un témoin sourcilleux, prêt à répliquer à la moindre attaque : son livre en lisant les mémoires du général de Gaulle en porte la trace et même si le connétable ne donne guère dans la demi-mesure de son côté… S’il se montre favorable à la naissance de la Ve République, la politique algérienne du Général l’ulcère et il ne se prive pas de le faire savoir. D’où certainement le refus d’une cérémonie à sa mort en 1965.

L’homme était complexe. Il ne peut être assimilé à un simple partisan de la politique de collaboration, comme Laval ou Darlan. Il faut cependant rappeler qu’il refusa les appels du pied des américains en 1942 pour venir en Afrique du nord, en vue de leur prochain débarquement. En fait Weygand a toujours été habitué à obéir. Même si le pouvoir politique l’insupporte, il obéit. Et lui, qui était de la « maison Foch », s’est retrouvé à servir le grand rival de son mentor, Philippe Pétain. Max Schiavon décrit des moments où il arrive à Vichy de très mauvaise humeur face à la politique suivie par le Maréchal. Il en ressort souvent excédé mais, en dernier ressort, il obéit.

 

Le principal défaut de cette biographie, excellente dans sa partie militaire, est donc de manquer d’une réflexion politique de fond car Weygand, qui reprochait à de Gaulle (entre autres) de faire de la politique, en a fait aussi, peut-être malgré lui et empêtré dans ses contradictions. À lire, mais avec esprit critique.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Max Schiavon, Weygand l’intransigeant, préface de François Cochet, Tallandier, novembre 2018, 590 pages, 26,50 euros

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