Petit Blanc de Nicolas Cartelet, du rêve colonial au conte noir

Petit blanc, quel étrange livre que ce petit livre-là ! Sa couverture d’abord, nous présente un perroquet rouge sur un fond vert, la crinière enflammée, et le regard mauvais. C’est une manière de nous dire : attention, ça va saigner ! Ensuite, dès les premières pages, le héros en voyage déclare tout de bon « J’ai détesté les passagers. Je les ai détestés de toute ma haire, de toutes mes forces ». Ainsi le ton est donné, d’autres haines et bien des morts vont suivre. 

Du rêve colonial

L’histoire du Petit blanc est celle du jeune Albert Villeneuve, qui s’embarque en bateau vers un éden ultramarin, où l’Administration lui a réservé une terre pour s’installer. De cette terre, et de cette Administration, on ne saura pas ni où elle est, ni qui elle est. Mais le malheur commence pendant le trajet, avec la mort de la femme et de la fille du pauvre Albert, qui débarque tout seul. Il y a des voyages plus réussis. 

La galère continue avec la découverte que la terre promise n’existe pas, que l’Administration n’a rien à lui donner, et ne lui donnera rien, et qu’il est donc seul, veuf, et sans travail, sur une ile inconnue, qui deviendra très vite hostile. Parce que ce pays regarde le « petit blanc » qui a donné son titre au livre, avec une antipathie manifeste. Albert Villeneuve sombre dans l’alcool, la misère, et rencontre surtout la détestation d’un redoutable policier, qui a juré sa perte.  Cette vie est pire que la prison, et le tableau est sombre, très sombre. 

un conte noir

Mieux qu’un roman, Petit blanc est un conte noir, qui montre un homme à la dérive. Un homme qui va de petits boulots en espoirs déçus, qui perd la notion du temps : « Cela faisait peut-être dix ans que je vivotais comme ça à Fort Djaba, de faux semblants en insomnies — ou dix mois, ou dix jours ». Terrible constat. Ainsi se délite au fil des pages la personnalité d’un homme, comme si Kafka avait débarqué dans l’Ile au trésor….

Nicolas Cartelet a bien ficelé son affaire, et cette histoire se lit d’une traite. Elle ne donne pas envie d’aller chercher fortune sous les Tropiques, ni de partir « là-bas », vers ce rêve insensé de colliers de fleurs. Peut-être est-ce là, la morale du livre : si partir, c’est mourir un peu, Albert Villeneuve est parti pour agoniser longtemps. Attention semble vouloir nous dire l’auteur, la vie n’est pas ce que l’on croit, et pas toujours ce qu’on espère. Le « jeune homme et la mer » donne ici une bien sombre vision de l’existence, mais sans aller très loin, on peut trouver partout des perroquets rouges à l’œil cruel. 

Didier Ters

Nicolas Cartelet, Petit blanc, éditions MU, avril 2020, 170 pages, 17 eur

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