Les yeux de la momie, Manchette cinéphile

Un cinéphile derrière le polareux

On connaît surtout Manchette (1942-1995) comme un auteur de romans noirs, le plus doué de sa génération même : citons Le Petit bleu de la côte ouest ou La Position du tireur couché pour s’en convaincre. Mais il a eu d’autres activités. On a retrouvé par exemple son nom au générique de quelques films comme scénariste (Nada de Chabrol, L’Ordinateur des pompes funèbres de Pirès ou La Crime de Labro), tâche qu’il a également remplie pour la bande dessinée Griffu sur dessins de Tardi. Il a également exercé une activité de critique de polars et de… Films pour le compte de Charlie Hebdo. Les éditions de Wombat viennent de rééditer, en l’augmentant sensiblement, Les Yeux de la momie, recueil de critiques parues autrefois chez Rivages.

Un cinéphile old school, j’aime ça

Lire Manchette critique de cinéma est un régal pour moi. L’homme est un fanatique de cinéma américain et, passé les 57 notes sur le cinéma inspirées par le situationnisme (je n’ai jamais rien compris au situationnisme, merci de me donner l’adresse d’un bon docteur), on découvre les textes de Manchette. L’homme s’avère drôle, acerbe, volontiers grinçant devant le cinéma de son époque. Il  a une passion pour des gens comme Aldrich, Ray, Siegel ou Ford. Il adore signaler les ressorties de classiques à ses lecteurs, c’est savoureux. Il avoue s’être pris une cuite un jour pour l’anniversaire de Jack Elam, second couteau renommé du cinéma américain, celui des westerns et des polars (je sais mon neveu, je suis un des derniers à connaître Jack Elam). Il est piquant de le voir vanter les mérites du cinéma américain, lui qui revendiquait des convictions très à gauche. Il s’en explique ici et là, tout en pourfendant des films de l’époque. Et c’est là que le bât finit par blesser (mais on le pardonne, parce qu’on aime les mêmes choses).  

Des textes à deux mains

Les chroniques de ce recueil sont signés pour la plupart « Manchette bros » et la raison en est simple. Manchette a souffert à partir de la seconde moitié des années 70 d’agoraphobie. Il ne pouvait donc la plupart du temps aller voir un film en salle et y déléguait son fils Tristan, d’où la signature « Manchette bros ». Autant on se fie aux jugements de Manchette sur les films plus anciens, autant les autres se font sur la base d’un compte-rendu du fils au père. Résumons : Manchette critique donc des films récents (entendons la période 1978-81) qu’il n’a pas vu (pour l’essentiel). Aux yeux de lecteurs rigoureux (et ils ont le droit), cela soulève beaucoup de questions quant à la crédibilité du critique. Reste en tout cas un recueil passionnant, qui inclut le fameux article « alerte au gaz !», daté du 22 octobre 1980, où il règle son compte aux compromissions d’une certaine extrême-gauche avec le négationnisme et aussi un échange acrimonieux avec Yves Montand…

À lire, car le cinéma et Manchette aident à vivre.  

Sylvain Bonnet

Jean-Patrick Manchette, Les Yeux de la momie, Préface de Gébé, juin 2020, Wombat collection « les intempestifs », 496 pages, 25 eur

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