« Je ne suis pas un numéro » : le Prisonnier a 50 ans !

Bonjour chez vous ! Je ne suis pas un numéro, recueil de citations de Patrick McGoohan établi par Patrick Ducher, arrive à point nommé pour célébrer les 50 ans du Prisonnier.

Le Prisonnier ! Comment oublier cet OTNI (objet télévisuel non-identifié) ? Produit en 1967, Le Prisonnier débarque à 18h50, sur les écrans français le 18 février 1968. Pour dix-sept semaines d’affilée.  À quelques jours près, le dernier épisode, « Le Retour », faillit ne jamais être diffusé à cause de la grande grève générale de fin mai ! Malgré cela « bonjour chez vous ! » devient soudain l’expression la plus subversive du moment. Et Patrick McGoohan d’incarner l’anti big brother. Merci donc à Patrick Ducher d’avoir collecté ces pépites. Issu du blog Je ne suis pas un numéro et de son extension Facebook, ce livre est un étonnant hommage. À travers plus de deux cent citations, extraits et recueil de pensées achronologiques, glanés dans les archives de la carrière de McGoohan, c’est à un portrait tout en sérendipité qu’il nous entraîne. Un voyage étrange et parano. Bref, c’est peu dire qu’on adore !

 

J’ai toujours été obsédé par l’idée d’un emprisonnement dans un monde libéral et démocratique. J’ai foi en la démocratie mais le danger sous-jacent est que l’excès de liberté finira par nous détruire tous »

De Destination Danger au Prisonnier

Ce livre est aussi, en creux, un portrait d’homme et d’acteur. Qui malgré une carrière polymorphe, se disait « prisonnier du prisonnier ».

Car c’est bien grâce au succès paradoxal et inattendu de la série, que Patrick McGoohan toucha à la postérité. Oubliée sa carrière théâtrale. Son goût pour les classiques comme Shakespeare, TS Eliot ou Bernard Shaw. Entre parenthèses, sa réussite de producteur de pièces de théâtre (le Moby Dick d’Orson Welles), de réalisateur télé (des épisodes cultes de Colombo !). Envolée l’opportunité de jouer James Bond, ou de faire une belle carrière hollywoodienne. On ne lui connait en effet que peu de films. Et seulement deux longs métrages honnêtes : L’Evadé d’Alcatraz de Don Siegel avec Clint Eastwood (où, clin d’œil malicieux, Patrick McGoohan joue le directeur de la prison !) ; et Destination Zebra, station polaire de John Sturges avec Rock Hudson et Ernest Borgnine.

Il est l’acteur marquant d’un média sacralisé, la télé. Son prisonnier. Et c’est en voulant sortir du long rôle de sa précédente série, Destination danger, que l’acteur, producteur et scénariste casse sa prison. Mais le diable peut surgir de sa boîte quand on ne s’y attend pas. Et la schizophrénie de naître.

John Drake, maître espion au stoïcisme certain, à la violence froide, et au conservatisme radical est LA prison de l’acteur McGoohan. Et Numéro 6 son visa de sortie. Croit-il.

 

J’avais une profonde inquiétude pour le sort de l’homme moderne. J’avais l’impression qu’il perdait de plus en plus son individualité, qu’il glissait inexorablement dans une normalisation faite de formules, de chiffres, qu’il acceptait de voir envahir sa personnalité et son intimité. Je voyais déjà se réaliser les prédictions d’Huxley et d’Orwell. Bientôt, les téléphones vous montreront votre interlocuteur, les télévisions ne se contenteront plus d’offrir des images, mais en prendront également de vous, dans vos moments le plus privés, comme l’œil du Big Brother de “1984” »

 

Un Village pour Catharsis

Exit donc Drake, welcome numéro 6. Hôte contraint de l’incroyable village de Portmerion. Goulag mou, comme le dira Mondoloni, qui encage l’irascible agent. Car comment contrôler cet olibrius dont le credo « dubito ergo sum » le désigne comme traître en puissance. Retors et caustique, il n’aura de cesse de démasquer les apparences et de grimper dans la hiérarchie. Un duel digne d’un far west, sauvage et sans pitié. Un épisode western filera même cette métaphore. Bien avant Mondwest…

Magnifique mise en abîme, imbroglio étrange, pamphlet crypté. Tout et son contraire fut glosé sur le Prisonnier. Et sa fin elliptique, ouverte et sans solution. En mode ourobouros, le serpent qui se mord la queue, symbole de l’infini, du jour sans fin.

Miroir sans tain des travers de la société occidentale en mode collapse. Emblème d’une année 1968 qui enverra diktat, bien-pensance et guerre froide aux oubliettes de l’Histoire.

 

 

Une anticipation de la folie des réseaux et d’internet

Car comment ne pas voir dans la lutte paranoïaque de 6 contre la dictature lente du Village, son gourou l’invisible numéro 1, autre chose que l’avènement du dieu image ?  Une prémonition de l’IA intangible : le réseau Internet ? Ce rouleau compresseur des mass médias d’abord, de la manipulation, de la propagande, de l’infox en mode lavage de cerveau. Ces armes créées par, pour l’espionnite aiguë nées de la guerre froide et reprises ensuite comme outils de simplification massive par le marketing, la publicité et l’entertainment.

Et qui d’autre qu’un drôle d’oiseau comme McGoohan pour incarner ce message prémonitoire ? Religieux, conservateur, atrabilaire, mal aimé du milieu. Au jugement péremptoire et au verbe haut. Contempteur de ses coreligionnaires et pourfendeur de la louve showbusiness à laquelle il tète avec frustration mais avidité. Un personnage mélancolique et froid comme beaucoup de ses rôles.

 

“Le Prisonnier” posait la question suivante : “A-t-on le droit de dire à une personne ce qu’elle doit penser, comment elle doit se comporter, comment elle doit exercer une coercition ? A-t-on le droit à l’individualisme ?” Je voulais que la série fasse parler les gens, je voulais qu’ils se posent des questions, qu’ils se disputent et qu’ils réfléchissent »

Le méchant, c’est moi, le numéro 1 c’est nous tous

Et comme dans un épisode de Black Mirror où le narcissisme virtuel et IRL sont devenus normes, où le libre-arbitre n’existe plus, l’homme-acteur McGoohan nous voue aux gémonies. Complices nous étions, voyeurs nous sommes, maudits nous serons.

L’immarcescible et terrible ballon sera notre punition éternelle. Iconique emblème de la folie consentie entre le spectacle et le spectateur, cauchemar prédictif cher à Debord. Cocon maléfique de la société devenue reality show permanent.

Le prisonnier annonce bien des présents et mêmes beaucoup du futur. Du Truman Show en passant par les Star Ac’s TM, les Facebook, Instagram et autres Google. Pour qui le dieu Data, bardé de chiffres et de données algorithme nos vies.

 

C’est le Pentagone qui nous dirige, Madison Avenue, la télévision. Et tant que nous accepterons cette situation sans nous révolter, nous suivrons le mouvement et courrons à notre perte. Tant que nous continuerons de consommer et d’acheter des produits jusqu’à l’excès, nous serons à la merci des publicitaires »

 

Alors ensemble n’oublions pas le cri visionnaire de Patrick McGoohan dans Le Prisonnier :

 

Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre »

 

Et deux extraits en guise de conclusion :

 

Le temps est compté. C’est impossible de faire plaisir à tout le monde. Il faut déplaire à beaucoup de gens pour sauver le monde »

 

 

En ce qui concerne le Numéro Un, nul besoin d’un diplôme en philosophie pour comprendre que nous sommes tous nos propres gardiens »

 

Marc-Olivier Amblard

 

Je ne suis pas un numéro ! Patrick McGoohan, citations, collectées par Patrick Ducher, Éditions Bookelis

 

 

 

 

 

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