Le Démon de saint Jérôme, l’ardeur des livres
Saint Jérôme de Stridon, ou Hieronymus pour les intimes, est un érudit du IVe siècle qui fut sans doute le premier à incarner l’homme-livre, l’homme-billiothèque. C’est à partir de son rêve d’un châtiment divin à cause de sa propension à adorer les livres (« On me demande ma condition : “je suis chrétien”, ai-je répondu. Mais celui qui siégeait : “Tu mens, dit-il, c’est cicéronnien que tu es et non pas chrétien ; où est ton trésor, là est ton coeur” »), que Lucrèce Luciani pose la belle question de la liberté de l’homme-livre pris entre « le texte païen et le texte divin ». Saint-Jérôme portefaix de la lutte de la littérature pour devenir autre chose qu’un réceptacle des oints divins et pour exister comme tel.
En cette période si puissamment chrétienne, un homme peut-il idolâtrer un livre païen, comme Jérôme le fit du codex cicéronien ? Ou est-ce le simple vice de la lecture — donc de la connaissance — qui est puni ? D’abord il faut relativiser diffusion de la culture par le livre, chose rare à une époque où c’est la transmission orale qui était la norme. Ainsi la lubie de Jérôme, son démon, être entouré de livres et vive contre son temps mais plein de ses pairs littérateurs, est-elle aussi une manière de vivre en hors la loi. L’attrait des livres est trop puissant, quitte à l’isoler du reste des humains.
Comme tous les vrais solitaires, Jérôme aime d’abord les livres avant la solitude ou plutôt cet amour est conditionnel de son isolement. On ne lit pas parce qu’on se retrouve seul mais l’inverse. En d’autres termes, c’est la lecture qui est prétexte toujours, non la solitude. »
Ce petit livre érudit, outre d’être un éloge de la littérarité de Jérôme, le saint patron des traducteurs, est avant tout une ode à la lecture, aux livres, même s’il aurait mérité d’être un rien moins hiératique.
Quel plaisir de lire un livre si bellement édité à la gloire de Saint Jérôme, manière de Borges du IVe siècle, dans une collection placée justement sous le patronage du génie argentin !
Loïc Di Stefano
Lucrèce Luciani, Le Démon de saint Jérôme, l’ardeur des livres, La Bibliothèque, 138 pages, 14 euros