« A demain l’embarquement », sur les traces du poète voyageur Laurent Girerd
Empruntant son titre à Blaise Cendrars, le grand écrivain voyageur, Laurent Girerd propose au lecteur de suivre ses pas dans une belle échappée. A demain l’embarquement est un ensemble de voyages qui conduiront de l’Italie à la Meuse, avec une seule exigence toujours : ailleurs qu’en de plats chemins balisés devenir le parfait soi-même.
« Depuis dix jours, à l’horizon, chaque aube nouvelle masque le rivage où poser le pied pour préparer demain. »
Ce qui plaît d’abord, c’est cette qualité d’écriture qui force, par la précision des mots et des tournures, à prendre son temps. Comme si Laurent Girerd avait cette capacité de faire aller au rythme de ses pas. Mais rien de hiératique ni d’abscons, cette langue est pure et claire, d’une élégance simple et belle. C’est une oeuvre poétique bien ancrée dans son époque, il y est question aussi bien de Poutine que de pauvres clochards égarés dans les gares, de grues et du Thalys. Qu’il soit au bord de la mer, à la campagne ou dans une ville aux tracés écrasant l’homme (« […] une artère surdimensionnée bordée par deux barres d’immeubles d’une trentaine d’étages », ce qui signale une horizontalité et une verticalité comme l’abscisse et l’ordonnée d’une vie d’homme, en chemin, ici vers la Baltique), Laurent Girerd — ou les personnages par lesquels il se transfigure — est cet exigence absolue, ce regard qui transperce le réel pour en extraire quelques belles images.
« Où continuer de partir »
Sur les vertus du voyage, Laurent Girerd est exigent. Son voyage commence à Gênes, la ville du premier départ, dont les ruelles courent vers la mer, ces ruelles dans l’enfilade desquelles « le soleil ni la police ne pénétraient ». Le personnage initial, grutier, ouvre et ferme le voyage en une riante rugosité de l’homme face au réel, et par la simplicité de son regard sur le monde à la fois dur et métallique mais aussi ouvert à l’infini (ses grues et le ciel, les ruelles et l’étendue vers l’Amérique…), il offre tout du voyage lui-même, comme un enivrement. Mais le voyage, quand les pas éloignent du connu, permettent, peut-être, aussi, de devenir soi.
Jamais je ne me suis senti aussi loin de chez moi que sur cette route. Même le lendemain, quand nous atteindrions le port de Gdynia sur la rive industrieuse en face de l’enclave de Kaliningrad, je n’éprouverais cette impression d’exil irréversible. »
Laurent Girerd est un exote. Il construit son récit comme le voyage intérieur, intérieur de l’Europe, intérieur du coeur, intérieur du regard. A demain l’embarquement est une en-allée joyeuse qui force le respect.
Loïc Di Stefano
Laurent Girerd, A demain l’embarquement, Le Temps qu’il fait, septembre 2018, 128 pages, 15 euros