Petit traité de la la lenteur à l’usage des gens pressés
Dans un monde toujours plus pressé, il est encore temps de se consacrer un peu à la lenteur. Et à son acteur principal, l’être-lent, tel qu’il est défendu dans l’essai philosophique de Mathias Lebœuf, Petit traité de la la lenteur à l’usage des gens pressés.

Disgrâce de l’être-lent par temps agité
Si l’être-lent est d’abord une force qui s’oppose. Mais il faut le considérer ici non pas pour ce qu’on entend habituellement de lui : « apathie, mollesse, nonchalance… la lenteur est non seulement marquée du sceau négatif, mais aussi de celui du manque. Manque de rapidité à réagir, à effectuer une action, à se manifester. » En effet, la définition du lent est pour ainsi dire toujours négative. Est-ce un si grand mal de ne pas courir en tous sens ?
La société actuelle loue le lièvre au détriment de la tortue. C’est pourtant en étant soigneux, attentionné, donc par nature lent, qu’il est possible de réaliser de grandes choses — même les fulgurances du génie a besoin de la lenteur de l’exécution pour aboutir au chef-d’œuvre.
Une réhabilitation bienvenue
Le Petit traité de la la lenteur n’est pas un éloge de la lenteur — ce qui serait aussi inepte que de défendre la vitesse. Il convient plutôt d’y lire une réhabilitation de l’être-lent comme quelqu’un d’une force incroyable, et hautement respectable. Il faut cesser et de mépriser parce qu’il est en dehors du rythme du monde, il a le sien propre, et s’il est en décalage par rapport à la folie du monde, peut-être est-ce une manière propre à lui de reconquérir sa liberté.
Être lent, c’est aussi prendre son temps, pas le perdre, et répondre à l’un des fondements même de la pensée philosophique : l’epokhế, soit la suspension du jugement. Toute étant en mouvement, s’agiter au milieu de l’agitation ne fait pas sens, mais prendre soin d’avoir le recul nécessaire pour poser un jugement serein, voilà une force devenue rare aujourd’hui. Mathias Leboeuf cite avec raison Sextus Empiricus à ce propos. On croise aussi Milan Kundera, Aristote, Gilles Deleuze, Montaigne, toujours dans des citations évidentes et fortes, et quelques miscellanées sont réunies en fin d’ouvrage pour servir à guider son propre chemin vers la lenteur.
Le Petit traité de la la lenteur à l’usage des gens pressés est riche de références et d’une vraie belle réflexions sur l’intérêt d’être lent dans un monde qui ne l’est pas, d’interloquer par un mouvement allant à son propre rythme plutôt que se fondre dans le moule commun. Il est du plaisir de flâner, de savoir patienter et de comprendre qu’attendre n’est pas une perdre de temps. À rebours de l’effervescence globalisée, l’être-lent pourrait bien proposer un nouvel humanisme. C’est en tout cas l’espoir qui naît en lisant Mathias Leboeuf.
Loïc Di Stefano
Mathias Lebœuf, Petit traité de la la lenteur à l’usage des gens pressés, Guy Trédaniel éditeur, octobre 2024, 168 pages, 12,90 euros