Les terres du chacal d’Amos Oz
L’enfance d’un maître
Écrire pour Oz fut aussi nécessaire qu’aux humains ordinaires le dyptique pain et eau. L’élégant qui se plaisait à répondre aux lourdauds indiscrets qui sans fin l’interrogeait sur l’origine de sa vocation n’avoir pris la plume que pour épater les filles, appartient désormais, pour le peu d’éternité qui nous demeure, au camp des Géants, le camp de ceux qui réparent le monde, l’illuminant de ces deux mots jadis inscrits sur le pectoral du grand prêtre Lumières et Perfections, ces mots, une autre histoire, que nous lisons encore sur le blason de la vieille Université de Yale.
Lumière de l’entendement et perfection de l’artisanat. La réédition de ses premières nouvelles[1] confirme cette certitude, raréfiée aujourd’hui par le diktat de la Librairie française du pouvoir de la Littérature, ni une petite musique ni un marqueur culturel, simplement la condition de possibilité d’accession au monde. Ici le chema (écoute) Israël, devenu : écoute le monde, reçois-le, entends-le, trouves-y ta place, la plus infime ou la plus haute, qu’importe ! Le monde est un et le voyage, unique !
L’incipit contient le tout :
Le khassim finit par tomber…
En quatre mots, le lecteur sait, rideau tombé, la tragédie consommée. L’affreux vent qui fait du désert ce qu’il est, immobilisant hommes et bêtes des jours durant, parfois des mois entiers, neutralisé, le récit peut commencer.
Quel récit ?
Le récit du combat pour la résurrection sur les terres du chacal : les terres du plus omnivore et plus opportuniste des canidés, susceptible de s’attaquer aux plus faibles, aux animaux déjà blessés et affaiblis, aussi de gratter la terre pour y découvrir termites, bousiers et larves, de quoi se sustenter jusqu’à l’occasion nouvelle. L’éternel affamé s’empiffre aussi de sauterelles, de grillons, de fourmis ailées, d’araignées, de scorpions, de crabes, de grenouilles, de lézards, pille encore les nids, placés à terre, dévorant œufs et couvées et complète ses repas avec des fruits, des noisettes, des baies, de l’herbe et des champignons, capable de dérober les dîners des fauves nonchalamment étendus, dormant sur leurs lauriers. Avec son poil doré, ses 9 kilos au garrot, le chacal se met bien où la terre ne ment pas, forçant ses habitants à se construire à son image et à sa ressemblance, sous peine de mort. Là où l’antique théorie des climats retrouve pleinement sa force dans un monde où le climat, prétendument vaincu par le verre, le béton et le fer, en cette ignominie qu’on dit « architecture internationale » se venge de mille manières, criant une nouvelle fois l’homme est un animal comme les autres et qui fait l’ange fait la bête….
Résurrection : survie. Le mot est trop fort, tant chacun des destins, des récits, semble ne s’écrire que sous le signe de l’abandon et de la fuite, mu par une sorte de pulsion de vie involontaire comme il en va parfois des mémoires. Végétatives, en dépit des actes et des pensées, déployées à l’envi comme simulacres sur un théâtre d’ombres. Comment en aurait-il été autrement ?
Orphelins ballottés, transplantés, déracinés… Chacun sait, théoriquement, sans pouvoir ni l’imaginer ni la partager, la nature profonde du calvaire que l’Europe-marâtre, mère des pères fondateurs du sionisme, imposa à ses ressortissants juifs entre 1882 et 1948 – entre la publication d ‘Auto émancipation de Léon Pinsker et la reconnaissance officielle d’Israël, état des juifs et non état juif.
Selon Pinsker, médecin :
La judéophobie était une psychose. Comme elle, une maladie héréditaire et depuis 2 000 ans, inguérissable.
Traités comme d’effrayants zombies et devenus tels dans l’Europe des Tsars, des Moujiks et des merveilleux héros de Dostoïevski, la belle Europe des Camarades, des Nazis et de leurs suppôts nationalistes, Ukrainiens, Biélorusses, Roumains … Ces zombies avaient acquis, de haute lutte, une terre d’asile, un pays.
Charge à eux de créer un état : une armée, une police, une cité, son calendrier mi laïque mi religieux, un peuple, résolument nouveau, dans un environnement fondamentalement hostile : une terre de chacals où tout mouvement, tout acte réclamait de l’homme, qu’il se fît surhomme, environné d’ennemis qui, à l’instar des Européens, n’avaient qu’une idée : se débarrasser d’eux. De quoi augmenter la mer de chacune des larmes de joie, qui avait saisi chaque juif – ceux de la diaspora heureuse et malheureuse, comme les enfants de Safed et des alyot successives – le 14 mai 1948, veille de la déclaration de la première guerre totale par la Ligue arabe !
Chaque homme est une guerre civile, un monde à part entière qui soliloque plus qu’il ne dialogue. Oz mettra l’accent sur les mal-aimés du sionisme, les inassimilables : originaux, vieillards, enfants et femmes, les individus qui, à ce monde résolument nouveau, ne pourraient en aucune manière appartenir pleinement, condamnés à y vivre une vie parallèle sans espoir de la réussir, dans la souffrance et le manque, plus seuls en communauté, qu’ils ne l’auraient, anti héros de Aron Appelfeld, jadis professeur d’Amos Oz et lui aussi albatros littéraire, été s’ils avaient vécu en ville. Quel moyen, à telle date, dans un semblable lieu en construction, auraient eu les enfants des six millions de Capitalistes de la très surestimée Frau Meinhof dont la libération sera exigée en 1972 par les auteurs de l’attentat de Munich de vivre autrement ?
Vieux monde ou monde nouveau, rien de nouveau sous le soleil. Les chacals glapissent, pris au piège, sous la magnificence de la voûte céleste, tandis que l’Histoire, ses Parques, gardiennes du passé comme du futur, s’absentent, inscrivant NO FUTURE aux portes des maisons où aucun Dieu ne fait station.
En Europe, comme en Israël, la question juive, réduite à l’antisémitisme des Nations, cesse d’être le problème fondamental jadis posé au monde, comment métamorphoser un chacal non pas en chien mais en être susceptible d’amour et de compassion, en curateur et en zélateur de la magnificence du monde ?
Le projet était beau qui a fait long feu, quand le monothéisme se fit, en trois étapes, trinitaire : juif, chrétien et musulman, condamnant le peuple entier, préfiguration de l’Humanité, au garde vous recevant la Torah à participer des querelles de prévalences, au lieu de respecter ces dix petits commandements, ce minimum commun, susceptible de faire lien entre les individus et les nations, à partir duquel le débat peut, en toute civilité, naître et se poursuivre, en vue d’un bien commun dans la paix et la joie.
Ici dans un des trois romans qu’il a consacré au kibboutz[2], Oz n’aborde aucun des thèmes ordinaires, médisance, esprit de clocher, claustrophobie quasi insulaire et carcérale mais s’arrête à la question de l’impossible conquête de l’utopie, idéologie aussi peu solvable dans le réel que le sont toutes les idéologies. L’homme nouveau est un mythe, un monstre, rêve ou cauchemar comme les autres. Et si Oz pourfend ce travers si commun aux hommes du politique d’abord c’est au nom du seul réalisme sioniste, un fait, qui, pour lui, n’exige aucune contradiction. Que la terre, comme la mer des Joncs, se scinde en deux ! Non pour anéantir l’adversaire, le voisin mais pour lui offrir un état limitrophe. Divorce à l’israélienne. Pas d’autre solution. Ici, bédouins ou pas, voisins ou pas, la question de la vie communautaire est posée : comment un monde de chacals pris au pièges, d’âmes blessées persuadés, que seule la politique édifiera un monde nouveau, pourra-t-il parvenir à ses fins ?
Vingt ans après l’inachèvement du processus industriel d’anéantissement de ses ascendants, le très jeune Amos Oz se fait le témoin des ravages psychiques subis par l’âme du monde, en ces années où les mots, reprises et variations de Hobbes et de Carl Schmitt, ont pour jamais effacé le nom de Kant du vocabulaire européen.
Le kibboutz, pour ces milliers d’orphelins qui avaient, diable seul sait comment, survécu aux ghettos, aux forêts, à la faim, aux caves, à la folie et la nuit, constituait l’unique possible, le lieu unique où les rares survivants des Sonderkommandos et des camps d’extermination pouvaient tenter l’expérience ardue de la vita nova….
In spem contra spem, ces Terres du chacal offre au lecteur l’un des plus parfaits et plus impitoyables témoignages de la tragédie européenne. De la tragédie comme fatum inachevé, poursuivant, implacable, sa route en chaque psychée.
Construit sur le modèle cher à Sherwood Anderson du roman-nouvelles : le recueil présente un ensemble cohérent où chaque micro récit répond à l’autre, le poursuit et l’inscrit dans une temporalité et un lieu différents, composant à travers un précis d’âmes en décomposition un procès-verbal en bonne et due forme du jeune-vieux pays, un captivant autant que désolant état des lieux. Sans coupables. Tous victimes, embarqués, les Bédouins, leurs voisins, hommes femmes vieillards et enfants, un vaisseau, un naufrage !
Pur chef-d’œuvre mais aussi très rare ouvrage, susceptible de permettre au lecteur de 2023 de comprendre ce qui a disjoncté – là-bas, en eretz, au pays, cher vieux jeune pays, retrouvé. Comment le rêve s’est avéré cauchemar, la terre d’asile, nasse et l’espérance, simple cul de basse fosse. Il n’avait pas suffi de proclamer un jour nouveau pour que l’aube surgisse, hurler sa joie pour que la joie vienne après la peine. Le ver était dans le fruit, l’homme, irrémédiablement abîmé, incapable même de vivre, toutes les actions des meilleurs, accomplies du plus pur des cœurs, avaient butté sur le double obstacle du climat et de la volonté frénétique de croire aux conneries propagées par un Boris Cyrulnik : une possible résilience éclair !
Je suis de ceux qui se réjouissent de l’existence de cet étrange lieu et lui souhaite une vie éternelle aussi de ceux estiment que nous n’étions pas prêts et qu’il faudra, pour mieux la retrouver, sous une forme, l’autre, quitter cette terre maudite, celle à laquelle le jeune Oz, en sa violence nécessaire et amoureuse, donne le nom de terre de Jephté, celle d’une fille, sacrifiée à la folie d’un père, qui passant outre l’interdit du meurtre, voua au néant son unique, pour un vœu imprudent….
Je suis de ceux qui pleure l’échec du mouvement “La paix maintenant”, le lâche assassinat d’Anouar El Sadate, le retour des Fous de dieu, des sacrificateurs et des salauds opportunistes, des habiles et demis qui estiment leurs cuillères assez longues pour dîner avec les diables sans cesse renaissants … mille choses. Je suis de ceux qui estiment que l’Europe, comme un seul homme, aurait dû, à chaque agression arabe, se porter volontaire aux côtés des descendants de ses victimes et voir Israël comme l’étoile invisible du drapeau européen.
Peut-être était-elle l’Etoile de la rédemption ? L’invisible occasion, que le monde, comme à l’accoutumée, a raté ?
Réaliste, j’aurais souhaité l’impossible qui, depuis plus de cinquante ans, contemple avec horreur la destruction de l’image d’Israël sur l’ensemble du monde habité et le retour de la judéophobie, justifiée par un crime, une erreur…. Un acte, l’autre, comme si le Testament de Hitler et le faux Protocole des sages de Sion constituaient, au rebours de toute logique, la chartre de l’état palestinien à naître… Baader, Meinhof, y’en aura d’autres !
Sans me lasser, je relis Disraéli : Tancrède et la nouvelle croisade, tentant de me persuader que les juifs sont aussi des Arabes comme les autres et du contraire … Chacun vivant près de l’autre, animiste jadis converti par son père Abraham… les uns fils d’Agar et les autres de Sarah… Fils de Jacob, les uns fils de Léah, les autres de Rachel ou de leurs servantes….
Quoique je ne partage pas l’entière opinion d’Oz sur ce passage épineux des Juges, il faut convenir que sa décision de clore le volume par le rappel d’un des plus terribles épisodes du texte fondateur confirme la terreur sans nom qui saisit le jeune écrivain à la vue de la réalité du kibboutz et de la condition de l’homme nouveau et ancien au sein du jeune-vieux pays !
Pas “condition faite à l’homme” personne encore n’est coupable mais en catimini tout va de guingois.
Juges, 11 :
Jephthé, le Galaadite, était un vaillant héros. Il était fils d’une femme prostituée ; et c’est Galaad qui avait engendré Jephthé.
La femme de Galaad lui enfanta des fils, qui, devenus grands, chassèrent Jephthé, et lui dirent : Tu n’hériteras pas dans la maison de notre père, car tu es fils d’une autre femme.
Abraham, Jacob, Jephté… la Tora dénude les possibles dérèglements consécutifs à la polygamie, surtout à la multiplication des mères. Sans doute la trinité monothéiste dont je parlais au début de cet article, les frères de Joseph, rachetant l’agneau du sacrifice, déjà les trente deniers que les Baptistes feront encaisser à Judas, au nom de la pureté et de la vérité de la religion, qu’ils assassinaient, la pillant, en prétendant la renaturer …
Oz a peut-être tort de s’en tenir au sens littéral. Jephté ne perd ici que sa descendance, stoppant net, par son vœu imprudent, la lignée du péché…. Ce Dieu ne saurait être interpellé en vain, pas de tractation, de plaintes ni de réclamations… Le temple n’est ni une épicerie ni un tribunal, aussi Ruth la moabite deviendra l’ancêtre de la lignée de David, faisant mentir les longues barbes et leurs crétins de disciples, qui répudient les fils et les filles nées d’une mère étrangère !
Racine l’avait compris à qui nous devons cet admirable vers
Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel.
Je viens, selon l’usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
Nous venons dans son Temple adorer l’Éternel.
Aucun autre commandement que ce commandement d’amour étendu à la création entière. Tout le reste est montage de prêtres-guerriers. On pourrait même lire adorer la notion d’éternité, cette volition de préserver la splendeur du monde offert…
L’avenir a donné mille fois raison à Amos Oz et « La Paix maintenant » , le mouvement qu’il avait en compagnie de tout ce qu’Israël comptait d’hommes de bonne volonté, trois cent officiers de réserve, intellectuels et écrivains, fondé en 1978, avant le lâche assassinat d’Anouar Al Sadate, n’a pas eu raison du « refus arabe » et de ses tragiques conséquences, qu’auront constitué chaque victoire juive, acculant Israël à redevenir non pas l’Adversaire mais l’Ennemi selon la subtile distinction du terrible Carl Schmitt.
Ces nouvelles à lire, relire, sans modération, pour se souvenir de ce qu’est un écrivain – à l’instar de Simenon, un peintre si précis que le les motifs cachés et les conséquences de chaque mouvement apparaissent en pleine lumière, illustrant l’art de la rhétorique selon Cicéron, né, entier, souvenez-vous, du palais de Mémoire. Un banquet, un homme sort un instant, il revient, le plafond s’est effondré. Lui seul désormais à charge de rapporter le nombre exact des convives, la place occupée par chacun. De qui s’agissait-il ? Comment était-il vêtu ? Pourquoi était-il présent ce jour-là ? … Pour que rien ne meurt tout à fait. Pour que personne ne s’estime moins que zéro mais devienne, à l’instar d’Elpénor, mort de langueur sur l’île de Circé, le sujet potentiel d’un péan.
Péan aux bâtisseurs, qui en dépit de leur mal de vivre, de leurs souffrances, au prix de mille privations sont parvenus à bâtir tout de même ce pays dont certains jours ont porté la lumière et l’espérance ! Péan au jour béni qui pour un peuple entier a constitué le 14 mai 1948 !
Là gît le sens profond du récit d’Amos Oz. Chacun de ces antihéros : Sachka, Tania, Galila, Tova l’étrange poétesse, Demkov, Guéoula, Samson, Gédéon, Dov… Forme un fragment du pays : une habitude, demeurée à l’armée, une manière d’accueillir le shabbat, de parler à ses enfants, de rire, de sourire, de pleurer : un fragment de la vie qui va, malgré tout, cahin-caha : ce subtil mélange de brutalité et de douceur, de sentimentalisme et de lucidité, qui fait l’âme juive, une, du commencement à la fin.
Le texte est dur – celui de Jephté, celui d’Oz, que les commentaires rabbiniques vont, non pas édulcorer mais compléter, à la manière des romanciers, dénudant le procès qui a conduit à la dureté du récit. L’existence d’Amos Oz, comme celle d’Agnon, de Bialik, d’Appenfeld, de Grossman, d’Eshkol… Certifie qu’Israël autant et davantage que le peuple de Dieu est le peuple du Livre, le fils du Livre.
Quand Israël n’aura plus d’écrivain, le judaïsme disparaîtra.
Autre chose que cette lecture rappelle au lecteur de 2023 qui voudrait en avoir fini avec l’histoire européenne tient à ce fait imprescriptible : combien le destin d’Israël, unique terre d’asile offerte aux zombies de Pinsker, reste lié inextricablement à celui de l’Europe. Aucun fils de cette Europe antisémite de raison ou de délire ne peut dire là-bas, songeant à ce fragment d’Asie où il a plu aux Évangélistes de faire naître le Christ et aux Musulmans de faire le lieu du voyage nocturne du Prophète, nul ne saurait oser affirmer : ce pays appartient aux seuls Bédouins, qui y faisaient paître leur troupeau, pour la bonne et simple raison que ce pays n’a longtemps existé que comme terre biblique : terre -textuelle et que cette terre s’est vue débaptisée par Rome d’avoir épuisé des Légions : devenue falestina romana, damnée par l’opération inverse de celle décrite par Cicéron, au seuil de son De oratore.
Dénommée, christianisée, politisée, elle est reniée de ses cendres juives, en raison du refus obstiné de l’Europe d’admettre les rescapés de Sion en son sein. Il faudra bien un jour que les antisionistes reconnaissent le crime européen et, à l’instar de l’Église triomphante, admettent devoir suspendre tout jugement d’appartenir en leur majorité à la race des bourreaux, de leurs exécutants surtout à celle plus nombreuses que les bouleaux de Pologne, les neiges d’Autriche, de Bavière et j’en passe des Indifférents, ceux à qui le cher Romain Gary, si vilipendé de son vivant, donnait le doux nom d’habitants du village d’à côté.
Ces kibboutznikim, cher, très cher fils de bourreau, de collabo ou d’indifférent, qui en a soupé de la reductio ad Hitlerum, sont à leur manière, tiens.
Imprescriptible demeure le crime, et tous ces fantômes d’hommes et de femmes chacalisés qui peuplent chacun des récits d’Amos Oz sont tes frères … Tu devrais, en réparation des crimes de tes tant aimés ancêtres t’en faire le gardien. Si Tova, la jeune poétesse , se meurt de tuberculose et de spleen, c’est à ta paix, ton bonheur, qu’elle le doit et si l’Europe s’est vue mise en coupe par les signataires du pacte de Varsovie, tombée dans l’escarcelle communiste ou capitaliste et pour cela, appelée à être à son tour – ce n’est que justice – liquidée, devenue terre de chacals, c’est à la survie paisible des tiens, à ta suffisance d’homme bien nourri, né du bon côté de la race, sous la haute protection des Christs antisémites et des glorieux païens, tes glorieux pionniers, qu’elle le doit.
À cette innommable souffrance, cette détresse, il n’est de consolation ou de réponse. Même pas Tsahal ou la beauté de Tomer Kapon et de Gal Gadot, accolées aux images exposées au Palais Berlitz le 5 septembre 1941 !
Il fallait du culot pour oser écrire un tel ouvrage à telle date ! 1963 : avant 1967, l’annus horribilis de la reprise de la guerre et des terribles conséquences de la défaite égyptienne qui transbordera le pays dans le camp des Méchants. Pour Oz, devin comme l’est tout écrivain véritable : bon observateur, le ver était dans le fruit et le fruit déjà fort entamé !
Sarah Vajda
Amos Oz, Les terres du chacal, traduit de l’hébreu par Jacques Pinto, Gallimard Folio, novembre 2022, 432 pages, 9,70 euros
[1] Composées entre 1962 et 1964, publiées une première fois en 1965, revues en 1975,
[2] Ailleurs peut-être… 1971 et Entre amis, 2006.