Ben Templesmith, entre horreur gore et humour noir
Les deux derniers comics de Ben Templesmith (Groom Lake et le nouveau tome de la série 30 jours de nuit) sont sortis chez Delcourt à quelques semaines d’intervalles. L’occasion de revenir sur la carrière d’un des dessinateurs les plus doués de la BD américaine. Focus.
Ben Templesmith fait partie de ces dessinateurs au style reconnaissable entre mille. Pour faire simple : aucun autre illustrateur ne dessine comme lui. L’artiste australien commence généralement par esquisser ses personnages. Sous son crayon, ils prennent une apparence cartoon, souvent déformée à l’absurde, quasi caricaturale. Puis Ben Templesmith travaille ses atmosphères sur ordinateur. Ou plutôt, il les cisèle, ajoutant de nombreux effets de lumière saturés ou monochromatiques, insère des extraits de photographies, et glisse des textures très prononcées.
Quand on lui demande ses références, Templesmith cite volontiers Dave McKean (une évidence) ou Ashley Wood. Ce même Ashley Wood avec qui il travaille en 2002 sur la mini-série Hellspawn. Une expérience relativement courte (une poignée d’épisodes) mais capitale pour la suite de sa carrière : Ben Templesmith y fait la connaissance du scénariste Steve Nile.
30 jours de nuit ou la reconnaissance du grand public
Il faut croire que les 2 hommes s’entendent très bien. Quelques mois plus tard, ils sortent 30 jours de nuit, une histoire qui revisite une créature classique de l’épouvante : le vampire. Les deux hommes imaginent une petite bourgade d’Alaska assaillit par une horde de vampire. Pourquoi ? Tout simplement parce que pendant l’hiver polaire, la nuit y dure trente jours. 30 jours de nuit est un carton, au point qu’on produit une adaptation cinématographique plutôt réussie.
« Je n’apprécie pas particulièrement les monstres, mais les ambiances lugubres me plaisent. Je ne saurai pas dire pourquoi… », explique Templesmith. Et même si le comics n’appelait pas nécessairement à une suite, hors de question d’abandonner un si joli filon : plusieurs suites sont produites sur papier.
Sous le soleil mexicain de Juarez
Dans le tome 6 de la série, sorti chez Delcourt fin mars 2018, c’est Matt Fraction qui reprend l’histoire après Niles. Une intrigue qui déménage : bye bye l’Alaska, bonjour le soleil du Mexique. Un changement radical qui permet à la série de respirer, de trouver un nouveau souffle. Au point qu’on peut presque s’y plonger sans même avoir lu les tomes précédents. On y suit un détective totalement cinglé venu enquêter sur la disparition de plusieurs jeunes filles mexicaines. Encore un coup des vampires ? On n’en dira pas plus, mais Fraction s’y entend pour brouiller les pistes et insérer dans la mythologie des légendes locales comme le chupacabra. Et le trait fait mouche, par moment limite très très gore : « Le sang et les tripes, c’est toujours marrant. En fait, j’aime bien les blagues, les trucs drôles ».
Une succession de titres horrifiques
L’horreur, Templesmith s’en fait une spécialité, une marque de fabrique. Ses travaux suivants sont tous empreints de noirceur, au mieux de cynisme. Dans la foulée de 30 jours de nuit, Criminal Macabre (toujours avec Steve Niles) développe une atmosphère sombre et une nouvelle fois un penchant prononcé pour l’hémoglobine. Avec Warren Ellis (excusez du peu), il imagine Fell ou les enquêtes désespérées et glauques d’un détective privé désabusé dans une ville dépravée. À faire passer le Se7en de David Fincher pour une gentille promenade de santé…
Et puis, avec un univers graphique aussi personnel, Ben Templesmith se prend l’envie d’écrire ses propres histoires. Oh, rien de trop éloigné du fantastique : Welcome to Hoxford se déroule dans asile psychiatrique qu’on pourrait croire hanter par des loups-garous…
Groom Lake, pastiche des X-Files ?
Lassitude ? envie de changer d’ambiance ? Ben Templesmith décide il y a quelques années d’accorder un peu plus de place à l’humour dans ses créations. Il commence doucement avec la série Wormwood. Mais avec Groom Lake (paru chez Delcourt), il passe au niveau supérieur : il s’agit ici de pasticher les enlèvements extra-terrestres chers à Chris Carter et ses X-Files. Le résultat ? Un comics qui verse en permanence dans l’absurde et le what the fuck ! Attiré par la fameuse zone 51, un brave gars se retrouve au centre d’une conspiration visant à fabriquer des armes à partir d’une technologie extra-terrestre. Problème : il va vite se retrouver bien malgré en vadrouille avec un E-T qui n’a qu’une seule envie : profiter des plaisirs de notre planète ! Disons-le tout net : Templesmith lâche les chiens et pète méchamment un boulon. Groom Lake est foutraque, barré, irrévérencieux, scatologique et… complètement absurde ! Le style de l’artiste fait mouche, délaissant le gore et la noirceur pour laisser un peu plus de place à la caricature. Prochain rendez-vous avec Ben Templesmith chez nous, en France : le tome 4 de Wormwood, prévu en 2018.
Stéphane Le Troëdec
Matt Fraction (scénario), Ben Templesmith (dessin), 30 jours de nuit, tome 6 – Juarez, traduit de l’anglais par Anne Capuron, Delcourt, collection Contrebande, mars 2018, 112 pages, 15,50 euros
Chris Ryall (scénario), Ben Templesmith (dessin), Les Chroniques de Groom Lake, traduit de l’anglais par KgBen, Delcourt, collection Contrebande, février 2018, 128 pages, 15,50 euros