« Les Couleurs des tumuli », interview exclusive avec Élisa Haberer
Le voyage originel
Élisa Haberer est photographe. Elle décide un jour de retourner sur les traces de son passé, et organise un voyage en Corée du sud. Elle y photographie la vie quotidienne des personnes qu’elle croise, elle photographie les paysages, et la mémoire des lieux. Que recherche-t-elle ? Des petits bouts d’elle-même… Puis, de retour à Paris, elle demande à son ami Simon Hatab d’imaginer, par le truchement du récit, ce qu’elle aurait pu consigner dans un carnet, si elle avait su l’écrire, aussi bien qu’elle a su le photographier.
Comment est né Les Couleurs des tumuli ?
Le projet est né de 3 voyages consécutifs que j’ai effectués en Corée du sud pendant une année et de la rencontre avec Simon Hatab. Peu de temps après mon premier voyage, j’ai échangé avec Simon que je connaissais un peu de par mon travail à l’Opéra National de Paris. Il m’a ensuite proposé un travail d’écriture. Ces aller-retours entre la France et la Corée et ces échanges avec Simon ont petit à petit constitué ce qui allait devenir le livre. Mais nous l’ignorions alors. Tout était ouvert. Il aurait pu s’agir d’une lecture, d’une installation, du début d’un film… Le livre est arrivé plus tard.
Pendant plusieurs mois j’ai fait des essais de mise en page, de maquette, avec les photographies. Je m’interrogeais sur la manière de donner assez de distance à l’ensemble pour ne pas en faire un objet purement autobiographique mais donner à voir sous plusieurs lectures (une lecture documentaire à travers les lieux et les habitants, une approche fictionnelle par la narration en une journée avec des leitmotivs…). La mise en page finale des photographies est quasiment identique à celle sur laquelle je me suis arrêtée lorsque Benjamin Joinau des éditions Atelier des Cahiers a reçu le portfolio. J’avais croisé Benjamin deux-trois fois en Corée, lors de mes voyages à Séoul et il a eu l’envie de publier sous la forme d’un livre ce qui allait devenir Les Couleurs des tumuli.
Vous partez une première fois en Corée, puis vous y retournez. Qu’est-ce qui vous appelle ? Qu’est-ce qui vous démange ? Est-ce le besoin de retrouver des racines oubliées ?
Rétrospectivement, je constate que j’ai pendant plusieurs années « tourné » autour de cette région, en habitant à Pékin, en faisant quelques petits séjours professionnels à Séoul, comme attirée de manière assez irrésistible vers ce pays, la Corée. Après, il est toujours possible de faire des projections et des interprétations sur ce constat, mais j’en reste à cette idée qui correspond assez bien à mon état d’esprit sur la question du mystère de mes racines : « Juste pour voir ».
Quand on lit le texte de Simon Hatab, on a l’impression, Élisa, que vous ne renaissez pas lors de vos séjours en Corée, mais que vous naissez, comme si vous retrouviez enfin ces origines absentes, en vous, et que vous parveniez enfin à une réminiscence.
J’ai appris assez récemment que j’étais née à Gyeongju et non à Séoul, contrairement à ce qui était écrit sur mes papiers d’identité depuis mon arrivée en France. À Gyeongju, je me rappelle très clairement m’être dit que tout cela ne tenait qu’à un lieu sur un papier administratif, qu’une erreur était donc aussi possible et que finalement, l’important était de croire à cet « ici et maintenant » du moment vécu. Ce qu’écrit très bien Simon dans le texte. Vous parlez de réminiscence, il y a un élément qui me semble venir de très loin, peut-être de ce temps lointain coréen, c’est une tache de couleur… orange. Que l’on retrouve dans le magasin de vaisselle, la Kitchenware Waarehouse.
Élisa, que conservez-vous de ce voyage ? Quels ont été les moments forts ?
Une succession de rencontres et de moments auxquels il était impossible d’échapper.
Grâce à ce voyage « hors-norme », pensez-vous avoir enfin comblé le trou de l’entre-deux ?
Je crois plutôt avoir trouvé un fil tangible qui me lie à la Corée et que je pourrai transmettre à mon fils.
Votre récit à quatre mains s’intitule Les Couleurs des tumuli. Pourquoi ce titre ? Qui l’a choisi ?
(rires) Le titre a été proposé par notre éditeur car nous n’arrivions pas à en trouver un qui nous plaise totalement à tous les deux. J’aime personnellement bien ce titre Les Couleurs des tumuli. Il y a beaucoup de choses dedans, que l’on retrouve dans le livre ; les tumuli évidemment, qui font le relief de la ville, qui caractérisent aussi Gyeongju. Les couleurs, comme les saisons, les différences de points de vue et surtout un temps qui s’inscrit dans la durée.
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Les Couleurs des tumuli, un jour, à Gyeongju, photographies : Élisa Haberer, Texte : Simon Hatab, Atelier des cahiers, juin 2017, 25 euros